Page:Meyer - Girart de Roussillon, 1884.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
girart de roussillon

510. Girart est en Ardenne le soir ; il n’y a chose au monde dont il puisse tirer avantage. Il vit son cheval[1] blessé, perdant l’haleine. Il le prit par la rêne du frein doré, sortit du bois, vint au moutier. [Son compagnon était blessé et respirait à peine[2]]. Girart trouva un ermite bon chrétien qui lui fit un bon feu et un lit de foin, et y coucha le blessé. Le comte lui vit la poitrine pleine de sang et lui demanda s’il pensait en revenir. — « Non, pour rien au monde. Jamais je ne verrai homme de mon pays. » Girart fut saisi de douleur.

511. Girart est sorti du bois ; il vint au moutier. Il attacha les chevaux à un laurier et demanda des nouvelles de sa femme. Elle sortit de l’église un psautier à la main ; avec elle était Engoïs, nièce de Rainier[3] ; on ne trouverait meilleure personne en aucune terre. Girart demanda si en ce lieu il y avait un prêtre. Et l’ermite répond : « Pas même un clerc. Il y a plus de six ans que je garde une damoiselle recluse, fille de Beron, nièce de Didier, lui fournissant les vêtements et les vivres dont elle a besoin[4]. » Toutefois, on confessa le chevalier blessé, et bientôt l’âme partit de son corps. Girart en fit grande douleur ; il s’arrachait les cheveux et se frappait des poings. Il n’y avait là ni chandelle ni encensier, mais seulement la croix, le feu, le brasier. La nuit vinrent des larrons qui enlevèrent à Girart ses armes et son destrier[5]. Voilà une douleur qui s’ajoute aux autres.

512. Quand la nuit fut passée, que le jour eut paru, vous pouvez croire, chevaliers, que ce fut une grande douleur

  1. « Son vassal » dans Oxf., mais la leçon de P. (v. 6434) s’accorde mieux avec ce qui suit.
  2. Vers restitué d’après P. (v. 6437).
  3. Celui qui paraît aux §§ 164, 325, 326.
  4. Cette phrase, qui manque dans P., s’accommode assez mal avec ce qui précède et ce qui suit.
  5. Et sans doute en même temps les chevaux de ses trois compagnons ; il y a auferans au pluriel, au § suivant.