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girart de roussillon

430. Gilbert de Senesgart parla le premier : il était vaillant aux armes et bon guerrier. « Sire, puisque tu as éprouvé un si grand désastre, allons-nous en tout droit à Dijon. Le château est très fort, avec ses murs et ses terre-plains. Mandez Bourguignons et Bavarois, formez une troupe de soudoyers. Donnez tout : or, deniers, hanaps, vases, chandeliers ; et, si Charles se présente avec ses forces, nous nous soucierons de son attaque comme d’un denier faux. — Vous êtes, » dit Girart, « bon conseiller. » Ils chevauchèrent toute la nuit. Ils entrent à Dijon par le pontet crient à la porte : « Ouvrez ! portier. » Celui-ci les reconnut et s’empressa d’ouvrir.

431. Girart arriva à Dijon au jour : il descendit au perron, auprès du rempart, et entra au moutier Notre-Dame. Il demanda à Dieu de lui conserver la vie jusqu’à ce qu’il se fût vengé de Charles. La prière finie, la messe ouïe, il sortit du moutier, joignit sa mesnie et leur parla ; il n’avait pas envie de leur faire une mine riante.

432. Où il trouva sa mesnie, il leur dit : « J’ai perdu Roussillon, l’antique château : hier soir, à minuit, Charles s’en est emparé. Il ne l’eût pas eu, s’il n’avait usé de trahison. Présentement je viens à vous, en ce pays. » Ils lui répondent tous, sans qu’un seul hésitât : « Sire, honni soit qui vous faillira ! Charles croit vous tenir, mais la Saint-Denis[1] se passera, et sept cents chevaliers auront eu la tête coupée, vos cheveux de noirs seront devenus blancs, avant que vous soyez par lui chassé de votre terre. » Girart leur répond : « Seigneurs, merci : c’est au besoin qu’on reconnaît l’ami[2]. Le roi Charles, malgré sa puissance, aura à se repentir d’être entré dans Roussillon. Ceux qui y resteront y seront assiégés : ils ne ver-

  1. 9 octobre.
  2. Proverbe très fréquent au moyen âge ; voy. Le Roux de Lincy, Le livre des proverbes, II, 231-2, et 485.