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girart de roussillon

343. Ce fut aux plus longs jours, à l’entrée de l’été, un mardi ; le soleil brillait de tout son éclat. Les armées se heurtèrent et ce fut péché. On ne cesse de frapper et de tuer. Vous verriez mille hommes étendus sur la face ou sur le côté, qui ont perdu pied ou poing ou ont la tête tranchée, et tant de gonfanons rouges couverts de sang, enfoncés dans le corps de chevaliers, et des milliers de chevaux si serrés qu’il n’y a [entre eux], aucun homme qui étende la main ou bras, car là nul ne peut vivre, sinon par miracle. Girart vint par la mêlée, plein de fureur ; il a tué ou blessé vingt hommes. Son visage est altéré ; plein de rage, il met pied à terre, enfonce son enseigne en un pré, et crie aux siens : « Chargez, frappez, tuez, tranchez ; et, si vous êtes poursuivis, repliez-vous sur moi, car, sachez-le, d’ici je ne bougerai que je ne sois prisonnier, ou tué, ou victorieux. Charles sera roi ou déchu[1] » Puis il dit à Fouque : « Restez avec moi ! » Et Fouque répondit sagement, en chevalier courtois et sensé qu’il était : « De tout temps tu as été léger, cruel, emporté, et ç’a été un grand malheur pour le monde que le jour où tu es né. Ce n’a pas été un don, mais une grande perte. Par toi a été abaissée la sainte chrétienté. Homme cruel, ne vois-tu pas comme tes hommes sont réduits ! Il y en a plus de sept mille tant morts que blessés, et pourtant nous les avons bien repoussés, et Charles a perdu assez des siens. Mais le roi est ton seigneur, une grande puissance. C’est au milieu de sa terre qu’il nous a trouvés ; les renforts lui viennent de tous côtés ; il n’a qu’une lieue à faire pour être à l’abri. Maintenant il n’y a pas de honte pour vous à battre en retraite. Vous seigneurs, francs chevaliers, donnez-lui le même conseil. Si vous avez parent ou frère [qui soit blessé], enlevez-le, et emportez-le au petit pas. Je ferai l’arrière-garde avec don Daumatz, Boson,

  1. Le texte, et par suite le sens, est douteux. Oxf. ajoute : « et j’aurai ma terre quitte et en paix. »