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girart de roussillon

275. Pierre, entendant ces mots, se sentit le cœur irrité. Il avait la prestance d’un empereur, le regard d’un léopard. Il parla comme fit le comte Bernart, celui qui fut élevé par le duc[1] Berart : « Je vous dirai une chose, Girart : ne faites pas comme fit le vieux Foucart, un comte félon de Saint-Médard, qui trompa trois seigneurs et encore un quatrième, mais ce dernier lui donna enfin sa récompense en lui enlevant sa terre. Je vois ici Auchier et don Guinart, Armant le duc de Frise, et le comte Acart[2] ; il n’y a parmi eux si preux ni si vaillant, que je ne sois prêt à combattre avec lui. On n’a pas le droit de qualifier le roi de trompeur. Il ne saurait en aucune manière rien machiner qui pût mettre un homme se rendant à sa cour dans le cas de se garder de lui. »

276. Don Boson, lorsqu’il entendit ces mots, fut saisi de colère. Il ne put supporter d’entendre Pierre parler ainsi. Il jura le nom de Dieu, le glorieux, que Girart et sa mesnie étaient des lâches, si Pierre, cet orgueilleux, s’en retournait librement. Pierre répondit avec douceur, comme bon guerrier sage et expérimenté : « Que dites-vous, sire comte ? Calmez-vous ! il ne convient pas qu’un si puissant comte ait tête légère et sens d’enfant. Par le seigneur Dieu qui règne au dessus de nous, je me soucie de vous et de votre orgueil comme d’un bout de bois. Si nous étions tous deux dans les prés, là-bas, vous brûlant de vous battre, pourvu que nous fussions seuls, jamais vous n’auriez été secoué comme vous le seriez. » Sans Fouque, Boson allait se jeter sur lui.

277. Boson, à ces mots, devint furieux. La colère lui fit pousser un soupir. Il se leva de la place où il était assis, et voulut se précipiter sur Pierre, mais Fouque, son frère,

  1. D’après P. (v. 3663) ; « le roi » Oxf. ; le vers manque dans L. Il est fait ici allusion à des personnages qui me sont inconnus.
  2. Anchart P. (v. 3671).