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girart de roussillon

63. Le comte Girart reposait dans une tour ; il n’y avait avec lui que trois comtors[1]. Ceux-ci s’étaient endormis au frais. Le comte se réveilla au bruit ; il entend le tumulte et la rumeur que font au dehors damoiseaux et vavasseurs, étrangers et hommes de la ville, grands et petits, qui appellent Girart leur droit seigneur : il revêt son haubert et met son heaume le plus fort ; il prend son écu et sa meilleure lance, et court où il savait qu’était son cheval. Déjà quatre vauriens l’entraînaient ; à chacun il fait voler la tête, puis il monte vitement et s’enfuit plein de tristesse par une petite porte, en appelant le roi traître parjure. Dieu ! quelle affliction pour un comte de perdre sa terre !

64. La nuit était ténébreuse lorsque les hommes de Charles entrèrent par le mur. Ils occupèrent vigoureusement les rues, et parmi eux il n’en était pas un qui ne complotât ou ne jurât la mort de Girart. Le comte s’enfuit, malgré tout, par une petite porte peinte d’azur. Son cheval l’emporte d’une telle allure que je ne crois pas qu’aucune bête meilleure paisse l’herbe. Il jura par saint Martin le bon tafur[2],

  1. Voy. p. 11, n. 1.
  2. Tafur, ce mot est ici bien détourné de son acception primitive et même de l’acception dérivée qu’il recevait au moyen âge. C’est un mot qui est sûrement d’origine arabe bien qu’il y ait doute sur l’étymologie (voy. Diez, Etymologisches Wœrterbuch, I, tafuro). Il apparaît pour la première fois dans les Gesta Dei per Francos de Guibert de Nogent. Cet historien nous apprend qu’un chevalier normand s’étant mis à la tête d’une troupe de gens sans aveu qui faisaient partie de la première croisade, fut dès lors appelé « le roi Tafur ». Guibert donne de ce surnom l’explication que voici : « Tafur autem apud Gentiles dicuntur quos nos, ut minus litteraliter loquar, Trudennes (= truands) vocamus. » (VII, xxiii de l’édition des Historiens occidentaux des croisades ; VII, xx des éditions de d’Achery et de Bongars.) Le « roi Tafur », qui paraît être une sorte de roi des ribauds, figure à la cour de Charlemagne dans Huon de Bordeaux, v. 38. Tafur est employé dans le sens de ribaud, truant, dans maints textes, voy. par ex. Alexandre, éd. Michelant, p. 167. v. 17 et p. 467, v. 24 (l’éditeur lit à tort cafur), la chanson des Albigeois, vv. 863 et 1590, Aspremont,