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caractéristique. Il ne s’y trouve pas une tirade, pas une phrase qui aurait pu être écrite par l’un quelconque des nombreux auteurs à qui sont dues nos chansons de geste. De là, il faut conclure que la chanson primitive a dû être remaniée très profondément dans toutes ses parties, ce qui exclut naturellement l’hypothèse d’après laquelle des tirades de l’ancien poème auraient pu être conservées dans le nouveau. D’ailleurs, ces tirades devaient être assonantes et non rimées. Il faut aussi remarquer que le début, qui, selon toutes les apparences, appartient en propre au renouveleur, n’offre pas moins de formes divergentes que le reste.

La seconde hypothèse est difficilement admissible : une langue aussi pleine d’inconséquences serait un phénomène sans exemple dans les variétés infinies du roman. Qu’à l’époque actuelle il se trouve des localités où, par suite de circonstances spéciales, coexistent des formes venues de pays différents, on peut et même on doit l’admettre[1], mais on n’est pas autorisé jusqu’à présent à supposer au moyen âge un état de choses aussi exceptionnel.

Reste la troisième hypothèse qui me paraît la seule possible et que je m’efforcerai de rendre vraisemblable. En principe, l’admission de formes divergentes dans les textes romans du moyen âge, principalement dans la poésie et plus particulièrement dans la poésie rimée, n’a rien d’exceptionnel. Plusieurs des contradictions qu’on peut relever dans Girart de Roussillon peuvent être observées ailleurs. Si notre chanson emploie, selon la rime, far (578) et faire (630), tener (18, 120, 170) et tenir (7, 277, 283), on trouve de même, chez les troubadours, far et faire, tener et tenir. Il

  1. Voir, par exemple, ce qui est dit du patois mixte de Puimangou (Dordogne), Aubeterre-sur-Dronne (Charente), et autres lieux voisins, par MM. de Tourtoulon et Bringuier, dans leurs recherches sur la limite de la langue d’oc et de la langue d’oui, Archives des Missions, 3e série, III, 678 et suiv. Cf. pour un autre territoire de langue mixte, situé un peu plus au nord, le même travail, 584 et suiv.