tout seul. Fais-en ce que tu voudras. Élève-le, ou bien, s’il te gêne, jette-le dans les eaux du Nil.
Mais une émotion intérieure et tremblante lui serra la gorge, quand il allait répéter son ordre. Il demanda :
— Fils ?
— Oui, seigneur.
Alors il dit :
— Je veux le voir.
Et il entra dans une chaumière noire et misérable, au bord de l’eau. Là il vit son enfant couché en guenilles. Il avait à peine quelques semaines. Ses yeux étaient encore immobiles, froids, sensibles seulement à la lumière et à l’obscurité. Il vit l’enfant saisir le vide de ses mains maladroites et il entendit dans sa propre tête des pensées étranges, comme si elles étaient chuchotées à ses oreilles par des lèvres passionnées :
— Peut-être est-ce celui qui remplacera tout le genre humain…
Écrase-le, écrase-le !
— Peut-être est-ce celui qui tirera de son cœur l’étincelle de la vérité et allumera de sa foudre la terre noire.
Éteins-la, éteins-la !
— Peut-être est-ce celui qui déchirera les ténèbres, comme Samson a déchiré le lion…
Casse ses bras, casse-les !
Et comme il se tenait ainsi penché en regardant le petit corps de l’enfant, les flammes de la joie jaillirent de son cœur. Il trouva déjà tout. Il retrouva lui-même. Il ne prévoyait pas un sentiment pareil, comme personne ne sait rien des larmes au milieu de la joie et n’en apprend toute la vérité qu’au moment où il arrive à les verser.
D’un pas rapide, il se rendit à sa demeure et il rentra bientôt en portant un sac d’or. Il en combla la mère de l’enfant et toute sa famille. En échange du fils, il leur donna les champs que les eaux noires arrosent. Il l’acheta pour lui, pour lui seul. La mère donna l’enfant en sanglotant, mais les pièces d’or, dont il lui avait jeté de pleines poignées calmèrent sa douleur.
Dioclès rentra chez lui avec l’enfant et barricada les portes. Un esclave noir avait seul le droit d’entrer dans la pièce, où était le berceau. Il bouillait le lait dilué d’eau, préparait le