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de ses successeurs, mérite en toute justice le nom de despotisme ignorant, c’est avec plus de justice encore qu’on peut caractériser par ce mot le régime des Bolchéviks. C’est le despotisme, et, je le souligne fortement, le despotisme ignorant. Les Bolchéviks, exactement comme les hommes politiques d’un passé récent, non seulement ne croient pas à la vertu (scepticisme qui est, comme on le sait, admis en politique), mais ils ne croient pas davantage à la science, ils ne croient même pas à l’intelligence. Conservateurs consciencieux des traditions politiques les plus purement russes, — traditions de la période du servage si vivante encore dans la mémoire de tous, — ils ne croient qu’au bâton, à la force physique brutale. De même encore que tout récemment, avant la guerre, à la Douma, les députés de la droite du type Markoff et Pourichkévitch raillaient l’humanitarisme libéral et répondaient par des menaces de potence et de prison à toutes les tentatives de l’opposition tendant à faire sortir, si peu que ce fût, nos anciens ministres et nos hommes de gouvernement de leur ornière réactionnaire, les commissaires actuels ne connaissent qu’une seule expression : tchresvitchaika. Ils sont convaincus que toute la profondeur de la sagesse gouvernementale réside dans ce mot. Les libertés, les garanties individuelles, etc., tout cela n’est qu’inventions vides de sens des savants d’Europe, des doctrinaires d’Occident. En Russie, nous nous en passerons bien, des libertés et des garanties individuelles ! Nous allons publier une centaine de milliers ou un million de décrets, et le pays illettré, ignorant, impuissant, misérable, deviendra du coup riche, instruit, puissant, et l’univers entier viendra admirer et nous emprunter avec ferveur les formes nouvelles du régime gouvernemental et social.

La Russie sauvera l’Europe. Tous nos sectaires idéologues en sont profondément convaincus. La Russie sauvera l’Europe justement pour cette raison que, contrairement à l’Europe, la Russie croit à l’action magique du verbe. Si