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ont tué dans les prisons et les tchrezvitchaïki un assez grand nombre d’anciens ministres, de tchinovniks et de riches. Je ne m’y arrêterai pas. Tout le monde sait comment travaillent les tchrezvitchaïki lettonnes et les soldats chinois ; mais ils n’ont détruit ni le bureaucratisme, ni la bourgeoisie. Jamais encore, en Russie, la bureaucratie n’avait pullulé avec une telle rapidité, et quelle bureaucratie oisive, pitoyable ! Dans chaque service, il y a dix fois plus d’employés qu’il ne faut, et sur dix services il s’en trouve à peine un seul qui serve à quelque chose. Tout le monde, hommes, femmes, jeunes et vieux, est fonctionnaire. Les Bolchéviks sont convaincus que quiconque n’est pas fonctionnaire est dangereux pour l’État et persécute de toutes façons ceux qui ne sont pas à son service : on les accable de contributions, on les prive de cartes d’alimentation, on les mobilise pour l’armée, etc. Et alors on se fait fonctionnaire, d’autant plus que les gens instruits sont complètement privés de toute espèce de gagne-pain, en dehors du traitement d’employé de l’État. Un manœuvre ou, d’une façon générale, un homme vigoureux, peut encore aller à la campagne, où il pourrait trouver du travail et, avec le travail, un toit et un morceau de pain. Mais un homme instruit, — un instituteur, un médecin, un ingénieur, un écrivain, un savant, — est condamné à mourir de faim, s’il ne consent pas à augmenter les hordes déjà innombrables des fonctionnaires parasites.

Et la bourgeoisie, me demandera-t-on, elle est détruite ? Nullement. Ce sont les anciens bourgeois qui sont détruits. Les fabricants, les négociants et leurs collaborateurs principaux ont péri pour la plupart, ou se sont enfuis. Mais la bourgeoisie est plus forte, en Russie, plus nombreuse, de beaucoup plus nombreuse qu’elle n’était auparavant. Actuellement presque tous les paysans en Russie sont des bourgeois. Ils gardent enfouis dans la terre des centaines de mille et même des millions de roubles émis sous le Tsar, sous Kerenski, sous les Soviets, de roubles ukrainiens et