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n’entends pas, elle a parlé. » Lhôte seul paraissait n’avoir rien entendu, et les gens vinrent, et ils le prirent parle bras, et l’amenèrent.

Il regarda, la vieille regardait, bientôt leurs yeux se rencontrèrent, et sur la vieille bouche sans dents, un sourire maintenant venait, qui bougea d’abord au-dessus, comme un papillon avant qu’il se pose, puis descendit, puis se fixa ; et la vieille tendit les bras à son fils.

Et lui n’avait peut-être point compris jusqu’alors : quand ce signe vint, il comprit. Et il se laissa tomber en avant.

C’est qu’on ne pouvait plus douter, même elle semblait complètement guérie. Tout de suite elle avait voulu s’asseoir. Elle avait pris son grand fils par le cou, elle disait : « Est-ce toi ? est-ce bien toi ? Mon Dieu ! que c’est drôle ! » Et les femmes qui l’entouraient s’étaient déjà mises à parler, ayant hâte de lui apprendre ce qui lui était arrivé, vu qu’elle ne savait rien encore : « Vous êtes tombée tout à coup, on est venues, on vous a relevée, vous étiez comme morte, heureusement que ce Branchu… »

Et il n’avait eu, n’est-ce pas ?… mais elles n’allèrent pas plus loin, parce que Lhôte s’était mis debout, et levant la main, solennellement :

— Je sais qui il est, c’est Jésus !

Cependant un grand bruit venait de devant la maison. Une poussée se fit ; la porte, cédant brusquement, battit contre la muraille. Où est-ce qu’on va mettre tout ce monde ? pas moyen de le laisser entrer. Néanmoins le monde entrait, nul n’eût réussi à l’en empêcher, trop de curiosité vous pousse, et on se bousculait autour de la vieille Marguerite, à qui on disait : « Est-ce vrai ? » et elle disait : « Vous voyez ! »

Elle semblait toute contente ; même elle avait l’air rajeunie, le teint plus frais, les yeux plus vifs. On lui avait fait du café qu’elle buvait, tenant sa tasse des deux mains, dans un vieux fauteuil de paille où on l’avait installée, et autour d’elle les voisines, à mesure qu’on s’approchait, recommençaient toute l’histoire, avec des gestes importants. Ainsi, dans le désordre qui était survenu et parmi toute cette foule, Lhôte un moment fut oublié. Quant à Branchu, depuis longtemps il n’était plus là.

Mais voilà que soudain, du milieu de l’obscurité qui avait