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Elle s’ouvrait sur un perron, en haut d’un petit escalier ; sur ce perron, des femmes se tenaient, qui discutaient avec des gestes. Elles se turent tout à coup. Et Lhôte s’avançait toujours, ne comprenant pas ce qui se passait.

Mais l’une des femmes accourut : « Lhôte, Lhôte, ne viens pas (elle lui barrait le chemin), ne viens pas, Lhôte, c’est trop triste. Laisse, on la soignera sans toi… Tu attendras qu’elle aille mieux, parce que sans ça… parce que sans ça… »

Il l’écarta violemment, et monta en courant l’escalier. C’est qu’il devinait bien de qui il s’agissait.

If trouva sa mère couchée sur la table de la cuisine, à côté de laquelle elle était tombée tout de son long, pendant qu’elle rangeait dessus les assiettes du diner.

Elle ne bougeait plus ; pourtant elle n’était point morte, comme on voyait à ses yeux restés ouverts et qui n’étaient pas privés de regard ; sûrement même qu’elle voyait et entendait tout, seulement elle ne pouvait plus faire un geste, l’âme désormais prisonnière, enterrée vive dans le corps, comme dans un autre tombeau.

Il se mit à genoux et, s’accoudant sur le bord de la table, il tendait sa figure en supplication vers elle : « Maman ! appelait-il, maman ! » (ainsi les tout petits, bien qu’il eût passé l’âge, mais quand on souffre, on redevient enfant) « maman, n’entends-tu pas ? c’est moi. »

En même temps, il se penchait vers elle, mais elle restait immobile, ses yeux ne se tournèrent même point de son côté ; il semblait qu’elle fût de pierre, comme ces statues qu’on voit couchées dans les églises, avec un cœur en plus, pourtant, et quelle douleur dans ce cœur (si elle entendait son fils l’appeler).

Les femmes se poussaient du coude, et tout bas elles se disaient : « Bien sûr ! personne n’y peut rien, c’est la grande paralysie ! »

On voit souvent de ces paralysies, c’est même une des maladies le plus fréquentes chez les vieux, ceux qui sont usés jusqu’au fond, alors les grandes ficelles cassent : et on sait assez, d’autre part, que les médecins n’ont jamais réussi à guérir ces maladies-là, qui viennent de plus loin et de plus haut que nous.