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MATHÉMATIQUE ET PHILOSOPHIE

restant la même, entre la partie spirituelle et la partie matérielle du médiateur.

Les causes occasionnelles de Malebranche, théologien philosophe, et l’harmonie préétablie de Leibniz, philosophe mathématicien, proposées comme solution du même problème, sont immédiatement au-dessous du ridicule.

Les dits philosophes, comme d’autres, d’ailleurs, se gardent bien de nous dire en quoi consiste la substance, spirituelle ou matérielle. Ils partent de définitions enfantines acceptées. N’est-ce pas Tertullien qui ne pouvait concevoir une substance qui ne fût pas matérielle ? En réalité les spiritualistes les plus forcenés se représentent la substance spirituelle comme un feu, un souffle. Pour Platon, c’est le son de l’instrument que figure le corps, c’est-à-dire pas autre chose que de l’air en mouvement. De toutes façons, une matière subtile, matière néanmoins. Si la substance spirituelle occupe une place dans l’espace, elle est étendue, donc matérielle. Si elle n’occupe aucun point de l’espace, elle n’est donc nulle part et n’existe pas.

Les mêmes conceptions enfantines se retrouvent presque toujours chez les mathématiciens, dès qu’ils prétendent s’occuper de philosophie. C’est qu’ils sont invinciblement amenés à user pour l’étude de cette science de leurs procédés habituels. Ils raisonnent en mathématiciens. Un égale un, évidemment. Ils en sont sûrs dans leur domaine spécial. Le malheur est qu’il leur soit impossible de raisonner autrement quand ils s’aventurent en dehors de leur terrain. Et dès que l’on sort de la spéculation pure pour entrer dans la réalité, ce n’est plus cela. Trois pommes n’égalent pas trois poulets. Un homme n’égale pas un homme, sans aller si loin. Excepté pour le mathématicien.

Il est aisé de donner des exemples de ce désaccord, entre le point de départ du mathématicien et celui du philosophe qui rend un peu ridicule le premier quand il veut être le second, c’est-à-dire appliquer aux réalités concrètes le raisonnement qui lui a servi pour les abstractions. Descartes