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LE POUVOIR RELIGIEUX AU THIBET

la puissance morale, les Dalaï Lamas n’avaient qu’un pas à franchir pour s’emparer de la puissance matérielle. N’étaient-ils pas des dieux… la royauté ne leur revenait-elle pas de droit ?… La tentation était trop grande pour qu’ils pussent y résister. Dès lors, nombre de difficultés, sans cesse renaissantes, s’élevèrent entre les deux autorités thibétaines. Le Pouvoir laïque, représenté par le roi, lutta énergiquement contre les empiétements du Pouvoir religieux. La guerre civile éclata. Ce fut à ce moment que l’un des papes de Lhassa : Nga-vang-Lo-bgang Gyam-tso, pour brusquer l’issue des hostilités, appela à son aide les tribus mongoles disséminées sur les rives du lac Bleu. Le roi fut vaincu (en 1640) et les Mongols laissèrent le Dalaï Lama s’emparer de l’autorité souveraine qu’il exerce encore de nos jours.

§

Le Thibet, ai-je dit, est une théocratie. Ce terme, qui nous reporte aux temps reculés où l’histoire confine à la Fable, évoque, en notre esprit, l’idée d’un pouvoir absolu détenu par un pontife dictant ses ordres au nom d’une divinité. Combien, dès lors, sera-t-on porté à croire à l’étendue illimitée de l’autorité concentrée entre les mains du chef de l’État, lorsque ce chef est un dieu lui-même !

L’on aurait tort de se baser sur ces déductions, cependant logiques, pour se former une idée de la façon dont sont gouvernés les Thibétains.

La théorie répond bien à ce que l’on s’imagine. Le Dalaï Lama est effectivement considéré comme l’autocrate par excellence, non seulement souverain, mais possesseur, sans partage, du pays entier et de tout ce qu’il contient. Les productions naturelles du sol, tant végétales que minérales, les animaux sauvages aussi bien que le bétail, les marchandises diverses, les produits, quels qu’ils soient, du travail des habitants, et ces habitants eux-mêmes, enfin, passent pour appartenir, de droit, au Dalaï Lama. En principe, celui-ci peut, à son gré, disposer de tous ses sujets, leur enlever les richesses qu’ils