Page:Mercure de France - 1904 - Tome 52.djvu/618

Cette page a été validée par deux contributeurs.
608
MERCVURE DE FRANCE—XII-1904

dèrent, en suivant le saint, ils le virent grand comme un corbeau. Lorsqu’ils regardèrent encore, ils le virent comme une rousserole ; la troisième fois, il ressemblait à une mouche ; ensuite il devint trouble et vague, grand comme un œuf de pou et, lorsqu’ils regardèrent de nouveau, ils ne le virent plus !… »

Bien que l’Église lamaïque actuelle soit directement issue de la réforme opérée par Tson-ka-pa, dont je parlerai plus loin, Padmasambhava est toujours honoré au Thibet. Toutefois, c’est plus au titre de magicien éminent qu’à celui d’apôtre bouddhique qu’il continue à être l’objet d’une vénération superstitieuse. Les lamas de l’Église jaune (église réformée) affectent volontiers une sorte de dédain pour sa personne, mais, en revanche, les fidèles de l’Église rouge (ancien rite), les sorciers, les devins, les conjurateurs de démons lui vouent un culte particulier. L’une des femmes du héros, la princesse Mandârava, est également le sujet d’une dévotion spéciale. Un temple lui est encore actuellement consacré.

§

Vers la fin du XIe siècle, le roi Lan-dar-ma persécuta les bouddhistes. Ils força les moines thibétains à se marier, ferma les temples et brûla les livres sacrés ; mais le bouddhisme était déjà trop fortement implanté dans le pays pour pouvoir être détruit de cette manière. Le souverain persécuteur ne réussit qu’à provoquer l’indignation de ses sujets. Un dévot, halluciné ou imposteur habile, prétendit avoir reçu de la déesse Çridevi l’ordre de le mettre à mort. Il lui décocha une flèche qui le tua.

L’arrivée du célèbre docteur hindou Atisha (1042) et des savants religieux qui l’accompagnaient redonna un nouvel essor aux théories religieuses des écoles trans-himalayennes. À cette époque, les démons et génies indigènes, avec qui Padmasambhava avait conclu un si singulier compromis, reprenaient toute leur importance primitive et le peuple, revenu insensiblement à ses anciennes coutumes, délaissait l’élément philosophique et moral représentant la partie d’importation bouddhiste