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MERCVURE DE FRANCE—XII-1904

Koukou-noor, vers les monts Kouen-loun. Au nord, au sud des fronts s’inclinent, de pieuses caravanes gravissent à six mille mètres au-dessus des houles de l’océan les vertigineux sentiers donnant accès au pays de leurs rêves mystiques…

Ce n’est pas au Dalaï-Lama seul qu’est due la singulière fascination émanant du « Pays des Neiges[1] ». Il est, par excellence, la terre de la magie, du merveilleux. Un monde de génies, de fées et d’enchanteurs a toujours hanté ses solitudes désolées. Les dévots voyageurs qui se hâtent vers Kra-sis-lhum-po ou vers Lhassa ont mille sujets, mille buts divers qui les attirent. Ce sont les lacs sacrés que les Dakinîs[2] effleurent de leurs robes éclatantes et dont les eaux limpides purifient de toutes souillures. C’est l’arbre de Kou-Boum, ce sont les abikheshas, les initiations mystérieuses ouvrant au fidèle les portes du monde des dieux et ce sont les dieux eux-mêmes, enfin, les dieux vivants et tangibles, répandus dans toute la contrée.

On trouverait difficilement, chez une autre nation, les traits qui caractérisent la mentalité thibétaine. Fanatisme, dévotion, religiosité, sont des termes inexacts impuissants à définir le sentiment réel que décèlent la littérature et les mœurs du « Pays des Neiges ». Il semble, plutôt, qu’à vivre si près du ciel ses habitants s’y soient rapprochés naturellement des hôtes surhumains qu’on lui prête et que, les coudoyant sans cesse, en un perpétuel prodige, ils rééditent cette ère de la Fable où les immortels descendaient de l’Olympe pour se mêler aux hommes.

§

Avant l’introduction du Bouddhisme, les habitants du Thibet, gouvernés par un roi, ne pratiquaient aucune

  1. Nom donné au Thibet dans la littérature bouddhique. Thibet est, d’ailleurs, une dénomination que les Occidentaux ont seuls adoptée et dont les Thibétains ne se servent pas. Ceux-ci appellent leur pays Bod-Yout (pays des Bods), les Chinois le désignent sous le nom de Si-Tsung et les Mongols sous ceux de Tangout et de Bardn-Vola.
  2. Déesses.