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MERCURE DE FRANCE—VII-1900

du pain et du lard qu’il posait au milieu du crottin, le tout recouvert d’un vieux journal, rapport aux mouches. Il marchait pieds nus l’hiver et l’été, ses plantes ayant acquis la dureté du fer. On ne savait pas s’il aimait sa femme. Sa femme le détestait du fond de ses entrailles. D’abord, il ne parlait pas, et les femmes ont une horreur superstitieuse des silencieux ; ensuite, il lui avait fait un garçon, et elle eût préféré une fille, c’est-à-dire une alliée, une complice, une créature plus souple, capable d’apprécier toutes les phrases vaines qui s’élancent des bouches exaspérées par les journées de pluie. D’ailleurs, la femelle du grand Toniot se plaignait de lui, avec une abondance de torrent écumeux, aux rares passantes que la Providence daignait lui envoyer le dimanche. Quand les ramasseuses de bois mort, les bergères, les cueilleuses de muguet ou les colporteuses de mercerie s’égaraient jusque chez elle, c’était un flux de discours et de lamentations qui les roulait, bras ballants, d’un bout à l’autre de la maison vidée instantanément de ses deux mâles. Dieu merci, le grand et le petit Toniot pouvaient se sauver, le bois était vaste ; et, pendant ce temps, la rousse femelle, très lasse de la vie de paresse qu’elle menait entre ses deux méchants garçons (« si méchants, Madame, qu’ils claquent du bec, sans jamais rien dire ! »), racontait ses malheurs et comme quoi on ne pouvait plus décemment coucher aux côtés de son homme, tellement il puait la taupe.

Puis, elle achetait un fagot, aimant à dépenser inutilement, des champignons récoltés de la veille, une botte de muguet ou deux sous de fil.

Jamais le grand Toniot ne lui reprochait ça, mais le petit Toniot hochait la tête, méprisant.