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le tueur de grenouilles


LE
TUEUR DE GRENOUILLES




À Eugène Demolder.

Petit, léger, posé en insecte d’eau sur son drap pâle dans la nuit comme une nappe de mare claire, le garçon écoute. Un doigt l’a réveillé, lui semble-t-il, un doigt humide, frôlant son front.

Ce n’est pas celui de Dieu, parce que Dieu est maintenant trop vieux pour s’occuper des enfants. Le silence le remplace. Dieu est un infirme ne pouvant plus galoper sur le vent, et il a mis le vent à l’écurie où il ronfle quelquefois derrière la porte.

Le grand silence, de son index froid, a réveillé ce garçon qui écoute, étonné, trouvant bien noir ce qu’il n’entend pas.

Posé à quatre pattes, ses membres menus et maigres rigides comme des tigelles de blé, les cuisses longues, les jarrets forts, les pieds fins d’aspect sauteleur, s’amenuisant, il regarde de tous ses yeux, la tête sournoisement baissée, ses cheveux retombant en pluie lourde, lui barrant les tempes de lignes plus sombres que la nuit, et sous ses cheveux ses prunelles fixes brillent, pareilles à deux lumières voilées de crêpe, car ce petit, déshabillé, a pourtant l’air en deuil.

Il vit en état d’animal, allant, venant, mangeant, dormant, sans rien dire. Il possède le coin de la chambre, un coin sale, du côté de la cheminée. Il