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parmi les végétations vertes et les rochers rougeâtres. Et dans le ciel occidental je vis une pâle ligne courbe comme une immense nouvelle lune.

« Je continuai mon voyage, m’arrêtant de temps à autre, par grandes enjambées de milliers d’années ou plus, entraîné par le mystère du destin de la terre, guettant avec une étrange fascination le soleil devenir plus large et plus morne, dans le ciel d’occident, et la vie de la vieille terre décliner graduellement. Enfin, à plus de trente millions d’années d’ici, l’immense dôme rouge du soleil avait fini par obscurcir presque la dixième partie des cieux sombres. Là, je m’arrêtai une fois encore, car la multitude des grands crabes avait disparu, et la grève rougeâtre, à part ses hépatiques et ses lichens d’un vert livide, paraissait dénuée de vie. Elle était maintenant recouverte d’une couche blanche ; un froid piquant m’assaillit. De rares flocons blancs tombaient parfois en tourbillonnant. Vers le Nord-Est, des reflets neigeux s’étendaient sous les étoiles d’un ciel de sable et j’apercevais les crêtes onduleuses de collines d’un blanc rosé. La mer était bordée de franges de glaces, avec d’énormes glaçons qui voguaient au loin. Mais la vaste étendue de l’océan, tout rougeoyant sous l’éternel couchant, n’était pas encore gelée.

« Je regardai tout autour de moi pour voir s’il restait quelque trace de vie animale. Une certaine impression indéfinissable me faisait rester sur la selle de la Machine. Mais je ne vis rien remuer ni sur la terre, ni dans le ciel, ni sur la mer. Seule la vase verte sur les rochers témoignait que toute vie n’était pas encore abolie. Un banc de sable se montrait dans la mer et les eaux avaient aban-