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cher, je me rendis compte que l’œuvre des marées régulières était achevée. La terre maintenant se reposait, une de ses faces continuellement tournée vers le soleil, de même qu’à notre époque la lune fait face à la terre. Avec de grandes précautions, car je me rappelai ma précédente chute, je commençai à renverser la marche. De plus en plus lentement tournèrent les aiguilles, jusqu’à ce que celle des milliers se fût arrêtée, et que celle des jours ait cessé d’être un simple nuage sur son cadran ; toujours plus lentement, jusqu’à ce que les contours vagues d’une grève désolée fussent devenus visibles.

« Je m’arrêtai tout doucement, et, restant assis sur la Machine, je promenai mes regards autour de moi. Le ciel n’était plus bleu. Vers le nord-est, il était d’un noir d’encre, et dans ces ténèbres brillaient vivement et continûment de pâles étoiles. Au-dessus de moi, le ciel était sans astres et d’un ocre rouge profond ; vers le Sud-Est, il devenait brillant jusqu’à l’écarlate vif où, coupé par l’horizon, était le disque du soleil rouge et immobile. Les rochers, autour de moi, étaient d’une âpre couleur rougeâtre, et tout ce que je pus d’abord voir de vestiges de vie fut la végétation d’un vert intense qui recouvrait chaque flanc de rocher du côté du Sud-Est. C’était ce vert opulent qu’ont quelquefois les mousses des forêts ou les lichens dans les caves, et les plantes qui, comme celles-là, croissent dans un perpétuel crépuscule.

« La Machine s’était arrêtée sur une grève en pente. La mer s’étendait vers le Sud-Ouest et s’élevait nette et brillante à l’horizon, contre le ciel blême. Il n’y avait ni vagues, ni écueils, car