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coup moins qu’autrefois délicat et exclusif pour sa nourriture — beaucoup moins que n’importe quel singe. Son préjugé contre la chair humaine n’est pas un instinct bien profondément enraciné. Ainsi donc ces inhumains enfants des hommes… ! J’essayai de considérer la chose à un point de vue scientifique. Après tout, ils étaient moins humains et plus loin de nous que nos ancêtres cannibales d’il y a trois ou quatre mille ans. Et l’intelligence avait disparu, qui, de cet état de choses, eût fait un tourment. À quoi bon me tourmenter ? Ces Eloïs étaient simplement un bétail à l’engrais que, telles les fourmis, les Morlocks gardaient et qu’ils dévoraient — à la nourriture desquels ils pourvoyaient même. Et il y avait là Weena qui gambadait à mes côtés.

« Je cherchai alors à me protéger contre l’horreur qui m’envahissait en envisageant la chose comme une punition rigoureuse de l’égoïsme humain. L’homme s’était contenté de vivre dans le bien-être et les délices, aux dépens du labeur d’autres hommes ; il avait la Nécessité comme mot d’ordre et excuse, et, dans la plénitude des âges, la Nécessité s’était retournée contre lui. J’essayai même une sorte de mépris à la Carlyle pour cette misérable aristocratie en décadence. Mais cette attitude d’esprit était impossible. Quelque grand qu’ait été leur avilissement intellectuel, les Eloïs avaient trop gardé de la forme humaine pour ne pas avoir droit à ma sympathie et me faire partager de force leur dégradation et leur crainte.

« J’avais à ce moment des idées très vagues sur ce que j’allais faire. Ma première idée était de m’assurer quelque retraite certaine et de me fabriquer