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un fait accompli. Ceci — je dois vous le rappeler — n’est qu’une simple conjecture que je faisais à ce moment-là. Plus tard je devais apprécier jusqu’à quel point elle était loin de la réalité.

« Tandis que je m’attardais à ces choses, mon attention fut attirée par une jolie petite construction, tel un puits sous une coupole. Je songeai, par transition, à ce qu’avait de drôle l’existence d’un puits au milieu de ces changements, et je repris le fil de mes spéculations. Il n’y avait du côté du sommet de la colline aucun grand édifice, et comme mes facultés locomotrices tenaient évidemment du miracle, je me trouvai bientôt seul pour la première fois. Avec une étrange sensation de liberté et d’aventure je me hâtai vers la crête.

« Je trouvai là un siège, fait d’un métal jaune que je ne reconnus pas et corrodé par places d’une sorte de rouille rosâtre, à demi recouvert de mousse molle ; les bras modelés et polis représentaient des têtes de griffons. Je m’assis et contemplai le spectacle de notre vieux monde, au soleil couchant de ce long jour. C’était un des plus beaux et agréables spectacles que j’aie jamais vus. Le soleil déjà avait franchi l’horizon, et l’ouest était d’or en flammes, avec des barres horizontales de pourpre et d’écarlate. Au-dessous, était la vallée de la Tamise, dans laquelle le fleuve s’étendait comme une bande d’acier poli. J’ai déjà parlé des grands palais qui pointillaient de blanc les verdures variées, quelques-uns en ruines et quelques autres encore occupés. Ici et là s’élevait quelque forme blanche ou argentée dans le jardin désolé de la terre ; ici et là survenait la dure ligne verticale de quelque monument à coupole ou de quelque obélisque. Nulles haies, nul signe de droits propriétaires, nulle apparence d’agriculture ; la terre entière était devenue un jardin.

« Observant tous ces faits, je commençai à cher-