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MERCVRE DE FRANCE — 16-I-1909


le Capitole, s’imaginerait que sa vilaine âme a au moins autant d’importance que lui…

Je ne saurais tolérer le voisinage de cette race qui ne possède aucun doigté pour la nuance — malheur à moi, je suis nuance ! de cette race qui ne possède aucun esprit dans les pieds et qui ne sait même pas marcher… Tout compte fait, les Allemands n’ont pas du tout de pieds, ils n’ont que des jambes… Les Allemands n’ont aucune idée à quel point ils sont vulgaires, et ceci est le superlatif de la vulgarité, — ils n’ont même pas honte de n’être que des Allemands… Ils veulent dire leur mot à propos de tout, ils considèrent eux-mêmes leur opinion comme décisive, je crains même fort qu’ils n’aient décidé de moi… Toute ma vie est la démonstration rigoureuse de ces affirmations. C’est en vain que j’ai cherché une preuve de tact, de délicatesse à mon égard. Je l’ai trouvée chez des juifs, jamais chez des Allemands.

C’est dans ma nature d’être doux et bienveillant à l’égard de tout le monde. J’ai le droit de ne pas faire de différence. Cela ne m’empêche pas d’avoir les yeux ouverts. Je n’excepte personne et, moins que personne, mes amis. J’espère, en fin de compte, que cela n’a pas nui aux preuves d’humanité que je leur ai données. Il y a cinq ou six choses dont j’ai toujours fait une question d’honneur. Malgré cela, il demeure certain que presque chaque lettre qui m’est parvenue depuis des années m’a fait l’effet de quelque chose de cynique. Il y a plus de cynisme dans la bienveillance dont on fait preuve à mon endroit que dans une haine quelconque. Je le dis en plein visage à tous mes amis, aucun d’eux n’a pensé qu’il valait la peine d’étudier n’importe laquelle de mes œuvres. Je devine aux plus légers indices qu’ils ne savent même pas ce qui s’y trouve. Pour ce qui en est même démon Zarathoustra, lequel de mes amis aurait pu y voir autre chose qu’une présomption illicite, heureusement inoffensive ?…

Dix années se sont écoulées, et personne en Allemagne ne s’est fait un devoir de conscience de défendre mon nom contre le silence absurde dont on l’a enveloppé. Ce fut un étranger, un Danois, qui le premier eut assez de subtilité instinctive et assez de courage pour se révolter contre mes prétendus amis… À quelle université allemande serait-il possible de faire aujour d’hui des cours sur ma philosophie, comme ceux que fit au