REVUE DE LA QUINZAINEréorganisée politiquement. Mais il dépassa la mesure. M* d’Annunzio d’abord, et M. Pascoli aujourd’hui,plus profondément ou plus exclu¬ sivement poètes que leur prédécesseur, ont reconduit la poésie dans ses domaines. Et après avoir tenté la transposition lyrique des ges¬ tes révolutionnaires italiens du xixe siècle, ainsi que Carducci lui- mÊme et un autre poète de talent, M. Marradi, l’ont fait, M. d’An¬ nunzio a écrit un grand et beau poème, Laus Vitae, où il chante en poète, très subtilement, très profondément, les louanges de sa terre, desamer, de ses héros. M. Pascoli commence à chanter devant le peuple et devant le monde un autre aspect de la vie intérieure de son pays, un aspect qui n’est pas historique, mais symbolique,quoique le symbole soit choisi dans l’histoire. Et il ne chante pas la gloire ancieune, mais l’âme ancienne. Et son poème, si exubérant de beauté et aussi de graves défauts lyriques, fera lentement un grand bien aux poètes italiens jusqu’ici détournés de la poésie par l’exaltation de Thistoire, mais ce bien ne s’insinuera que fort lentement dans les esprits, aussi lentement que celui de la Laus Vitae, poème qu’on ne lit pas, mais qu’on lira, qu’on ne comprendrait pas, mais qu’on comprendra.M. Pascoli a créé deux symboles : un homme et une ville, le roi Enzo, le malheureux fils du Roi-Poète, et Bologne, <c mère des étu¬ des ». Autour de ces deux symboles, se déroulent les Canzoni di «Re Enzo. Contrairement à toutes les épopées, dont les événe¬ ments semblent encercler un homme, le héros, et en l’encerclant le soulèvent au sommet d’une pyramide d’âmes, dont les côtés prennent tous les attributs de la haine et de l’amour, M. Pascoli met son héros loin des événements, au centre des évocations, au centre d’un rêve de langueurs et de mort. Le roi prisonnier des Bolonais, le roi vaincu, est le dernier roi de la dynastie de Souabe, qui féconda l’Italie mer¬ veilleusement, avec la semence de l’incomparable « Bête Blonde »,!e Mâle du Nord. A la cour tudesque de Sicile jaillirent, en effet, les premiers rythmes delà poésie italienne, et là fut façonnée la première élégance de l’âme chevaleresque de toute la péninsule. Le roi Enzo re¬ présente TEmpire vaincu— l’Empire qui futensuite le rêve désespéré de Dante. Il représente aussi le dernier mâle subjugué par l’insatiable femelle — la louve dantesque, l’église, Rome.Ettandis que son frère Manfred, celui qui fut, dit Dante, « blond et beau et de gentil aspect », tombait à Bénévent, trahi, sous les coups des troupes angevines, le roi Enzo regarde de sa prison la ville de Bologne, dont les tours solennelles et tristes s’élèvent en escorte vigilante et inexo¬ rable. Et le roi Enzo entend le bruit terrible du « Carroccio », qui lui v rappelle Iapre lutte dont il saigne, corps et esprit prisonniers. Le ’ poète évoque d’abord les bœufs, qui conduisirent le grand char hé¬ rissé de pointes mortelles, et furent sacrés nouvellement, par les guer-
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