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MERCVRE DE FRANCE — 16-XII-1908


de l’anéantissement et de la destruction, ce qu’il y a de décisif dans une philosophie dionysienne, l’approbation de la contradiction et de la guerre, le devenir avec la négation radicale même de la conception de l’ « être », dans tout cela il faut que je reconnaisse, en tous cas, ce qui ressemble le plus à mes idées au milieu de tout ce qui fut jamais pensé. La doctrine de l’« éternel Retour », c’est-à-dire de la répétition absolue et infinie de toutes choses — cette doctrine de Zarathoustra pourrait, en fin de compte, déjà avoir été enseignée autrefois. Les stoïciens du moins, qui ont hérité d’Héraclite presque toutes leurs idées fondamentales, en présentent des traces. —

4.

Dans cet écrit s’affirme un espoir formidable. Je n’ai après tout aucune raison de renoncer à l’espoir que je place en un avenir dionysien de la musique. Projetons nos regards à un siècle en avant. Admettons que mon attentat contre vingt siècles de contre-nature et de violation de l’humanité réussisse. Ce nouveau parti, qui sera le parti de la vie et qui prendra en mains la plus belle de toutes les tâches, la discipline et le perfectionnement de l’humanité, y compris la destruction impitoyable du tout ce qui présente des caractères dégénérés et parasitaires, ce parti rendra de nouveau possible la présence sur terre de cet excédent de vie, d’où sortira certainement de nouveau la condition dionysienne. Je promets la venue d’une époque tragique : l’art le plus élevé, dans l’affirmation de la vie, naîtra encore quand l’humanité aura derrière elle la conscience des guerres les plus dures, mais les plus nécessaires, sans qu’elle en ait souffert.

Un psychologue pourrait ajouter que ce que j’ai entendu, dans mes jeunes années, en écoutant de la musique dionysienne, n’a absolument rien de commun avec Wagner ; que, lorsque je décris la musique dionysienne, je décris ce que j’avais entendu, car instinctivement je devais tout traduire et transfigurer en vue du nouvel esprit que je portais en moi. La preuve s’en trouve dans mon livre Richard Wagner à Bayreuth et cette preuve est aussi décisive qu’elle peut l’être. Dans tous les passages qui ont unesignification psychologique il n’est jamais question que de moi: on peut, sans avoir égard à rien, placer mon nom ou le mot « Zarathoustra », là où le