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cela qu’il est si difficile d’obtenir une bonne interprétation de Pelléas et Mélisande, ou de la Mer, ou du Jeu d’eau, de Cl. Debussy ; il faut que le huitième des seconds violons, ou le quatrième cor, ou le sixième violoncelle, s’entende, écoute les autres, et calcule sa sonorité en raison de l’effet à obtenir. La musique de l’avenir n’aura-t-elle recours qu’aux instruments, ou bien fera-t-elle appel encore à la voix humaine ? La voix est l’un des premiers instruments connus, parce qu’il ne possède aucun mécanisme extérieur. Mais il n’est pas des plus sûrs, parce que la justesse comme le timbre en sont variables, avec les sujets et les circonstances. Aussi a-t-on vu, à partir de Wagner, qu’on lui faisait la part de plus en plus faible, et moins belle. Comme d’ailleurs toute notre civilisation s’efforce de substituer l’outil à l’homme, on peut croire le chanteur appelé à disparaître au même titre que le geindre de nos boulangeries ou la fileuse des vieilles romances. Mais ce qui est vrai du chanteur ou du chant n’est peut-être pas aussi exact pour la voix : elle est aujourd’hui chargée de deux rôles à la fois, puisqu’elle articule des syllabes en même temps qu’elle profère des notes. On arrivera, par le progrès de l’analyse, à séparer ces attributions : on pourra conserver, dans certains cas, une déclamation réglée, une sorte de « mélodrame », tandis que la voix pure, inarticulée, entrera dans l’orchestre, nouvel instrument : c’est ce qu’ont déjà tenté M. Debussy en son Printemps et son 3e Nocturne, et M. d’Indy au 3e acte de l’Étranger ; je crois même qu’un jeune compositeur écrit en ce moment un quatuor à cordes avec voix. Débarrassés du souci des mots,il est certain que des artistes spéciaux pourront arriver à une sûreté d’intonation et de nuance inconnue à nos parleurs d’aujourd’hui.

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Tel sera, je suppose, l’état de la musique dans une cinquantaine d’années. Mais on ira plus loin : ces joueurs d’instruments et ces vocalisateurs, ce sont des ouvriers encore, en possession de machines plus ou moins compliquées, qu’ils dirigent comme un tisserand fait marcher son métier. La machine, en se perfectionnant, arrivera à se diriger elle-même, et il n’y aura plus d’ouvriers, je veux dire qu’il y aura des violons, des hautbois et même des voix mécaniques, comme il y a des mé-