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MES FOUS 283 moins voluptueux même des hommes et elle avait gardé de son passé des notes délicates dans la voix, quelque chose de chantant et un souci de plaire finement malicieux. Je sus oublier les cruautés de l ’ancienne courtisane pour librement admirer et goûter le corps émouvant sous les étof­ fes légères, les mains pâles, les gestes tendres, la femme intelr lectualisée par le luxe et l’amertume souriante de la vie. Une gaucherie, un orgueil perçu grossier, un besoin d’ er­ rance peut-être : le charme se rompit. Toute rupture n’ exige pas précisément de sens. Elle mourut, laissant, sans fortune et sans asile une fillette de quinze ans. Sa dernière lettre, un appel éperdu vers moi. « Marthe 1Marthe! La pauvre enfant ! Les bêtes immondes l’ entoureront. Quelqu’un qui serait son libérateur, son Sau­ veur!» Ce legs singulier tombant dans ma solitude me rendit stu­ pide. Je me suis toujours garé des enfants comme des vieil­ lards. Une amie de la famille m’ amena l’orpheline que j e voulus confier à quelque directrice de collège. Secrète dans sa dou­ leur, l ’ abandonnée excita bientôt mon imagination. Tout d’a­ bord, se mouvant devant moi une grande fille pâle, épuisée de larmes, au brusque abîme arrachée, je m’ étonnai. Un silence nouveau meurtri. Seule sa chevelure dardait sa flamme. Un mois après sa venue, ébloui de l’ aventure, j e la tenais pour camarade. En retour d’un enjouement fraternel, elle se montra moins lasse. Son cœur se détendit de l’effroi et la fraîcheur de l’insouciance, ainsi qu’ une brise, nous frôla. Je m’initiai à briller. Je revins avec elle aux fêtes spirituelles. Mes visions, mes trouvailles, pierreries dont je parais son cerveau. C’était enfin la marée large des pensées gonflées de la joie et de la douleur humaines, une plénitude de fierté et de sécurité. Sûr de la substance de ma volupté, je prenais sur mes genoux le petit corps de printemps clair et rien n’ était peut-être plus délicatement inattendu que ce grisonnant versant sur sa fille adoptive son perpétuel enchantement. Vaporeuse, non point, mais cruelle et ample, je lui montrais la vie, préservant de tout contact avilissant le calice de sa robe, la chair de ses lèvres, la divine nudité même de ses mains.