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LES DÉBUTS POLITIQUES DE LAMARTINE Nous sommes encore dans l’ébranlement d’une grande commotion politique : les partis y ont perdu leurs places et leurs chefs, les opi­ n i o n s mêmes y ont laissé leurs noms ; mais la France reste : attachons- nous à la France. Ne définissons pas nos opinions par des mots, par des noms d’hom­ mes et de partis, ou par des bancs à la Chambre. Les mois perdent leur signification, les noms s’usent, les hommes passent, les choses demeurent : définissons par les choses. Je suis de ce parti qui agrandi en silence dans l ’horreur de l ’anar­ chie, dans la haine du despotisme : qui a salué la Restauration comme une espérance, la liberté comme un but sublime placé par Dieu même sur la route des peuples pour faire avancer la civilisa­ tion. Je suis de ce parti qui a vu de loin l’orage se former sur la France, se grossir des défiances du gouvernement, des alarmes et des impa­ tiences de l’opinion, et qui, du jour où la royauté a regardé en a r r i è r e , a prédit l’inévitable chute d’un pouvoir qui n’avait compris que la moitié de sa mission. Je suis de ce parti qui redoute et qui déplore les révolutions, qui voit avec terreur tomber les dynasties, parce qu’elles entraînent sou­ vent les empires; qui, ne démentant point ses souvenirs, contemple avec respect et douleur un passé qui appartient à l’histoire, mais qui ne pense pas que la France doive s’ensevelir toute pleine de vie sous la ruine de ses gouvernements etqui accepteles faits accomplis comme des éléments donnés par la force des choses à l ’intelligence humaine. Je suis de ce parti qui veut un pouvoir un et fort, mais qui veut que le pouvoir ne soit que le moyen, et que la liberté soit le but de tout gouvernement moderne. La liberté est l’idée-mère de nos desti­ nées futures : au parti qui la comprendra le mieux appartiennent le monde et l’avenir. Ce parti veut la liberté de la pensée par la presse, qui est son organe; Il veut l’indépendance religieuse : la religion, que j ’aime et que je vénère, comme la plus haute pensée du genre humain, perd de sa vertu et de sa force dans ces alliances avec le pouvoir ; elle les re­ trouve où elle les a puisées, dans la conscience et la liberté ; Il veut l’émancipation légale et progressive de l’enseignement ; Il veut la liberté dans la commune par une large loi d’attributions municipales; Dans le département par la représentation et la discussion efficace de tous les intérêts qu’il renferme; Dans l’Etat, enfin, par une élection large et proportionnelle qui aille chercher la vérité représentative dans toutes les classes de la na­ tion qui ont lumière à donner et intérêt à défendre.