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L’ANTAGONISME ANGLO-ALLEMAND sérieuses de succès que si elle peut débarquer des corps con­ sidérables à proximité de Londres : or, les côtes britanniques seraient entourées de défenses de toute espèce, et ces corps ne pourraient prendre terre que s’ils étaient escortés par toute la marine allemande, qui hésitera peut-être à risquer une ren­ contre inégale. Et de même, l ’Angleterre ne peut porter à son adversaire des coups décisifs que si elle détruit la flotte des cuirassés et des croiseurs, qui peut rentrer dans les arsenaux, ou si elle brûle les ports et la flottille marchande, qui seraient mis facilement à l’ abri, et voilà un aspect de la question qui n’ est pas dénué d’ intérêt. L ’ Angleterre et l’Allemagne pour­ ront, à coup sûr, se faire beaucoup de mal, mais rien ne prouve que, tout en s’affaiblissant l’une et l’autre, elles aboutiraient à trancher définitivement leur querelle par une de ces batailles, qui règlent les destinées du monde. Or, à quoi bon s ’exposer à une lente consomption, à un amoindrissement progressif et inévitable de sa vigueur, alors qu’ on n’ est point certain d’être rémunéré de ses souffrances, et de se relever un jo u r sur un piédestal d’or ? Un dernier élément, enfin, peut être invoqué en faveur d’ un maintien indéfini du statu quo : c’est l’ attitude du prolé­ tariat allemand, comme du prolétariat anglais. Je dirais même qu’ aucun élément ne me parait plus capital, plus apte à différer ou à écarter les conflits internationaux. Toutes les manifestations ouvrières, qui ont eu lieu dans ces derniers temps, aussi bien à Londres qu’à Berlin, — tous les échanges de cordialités, d’ assurances pacifiques, qui se sont produits entre les travailleurs des. deux pays, laissent l’impression qu’ une rupture soulèverait des résistances profondes, chez ceux-là mêmes qui, de prime abord, devraient supporter la charge. Ce ne sont point des démonstrations théoriques et théâtrales, qu’ ont organisées les groupements ouvriers des deux côtés de la mer, mais les syndicats germaniques comme ceux du Royaume Uni ont voulu affirmer, avec une solennité nou­ velle dans l’histoire, qu’ ils n’accepteraient point la responsa­ bilité d’ un conflit fratricide ; et si le prolétariat n’est pas encore assez vigoureux pour dominer la diplomatie, s’il n’a pas saisi l ’administration dés sociétés, s’il reste subordonné, à l’état de classe inférieure et vassale, il possède assez de prestige cepen­ dant pour peser, en certains cas, sur la volonté des dirigeants.