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sujets d’étude à la vie qui passe ; et celle-ci, dans maints aspects de sa vision, est si pathétique, si vaste et si diverse que le romancier n’a plus qu’à la contempler pour écrire.

C’est d’abord au monde du trafic, du négoce et de l’argent que Georges Lecomte emprunte les fantoches trépidants de son Veau d’or. La figure des thésauriseurs, de Plaute à Molière, de Molière à Balzac, a présenté, de tous temps, un aspect semblable ; mais chaque âge a su, sur cette mobile figure, mo­difier des traits et en ajouter d’autres. « Balzac, acteur du drame de l’Argent (dans sa vie privée), écrivit Émile Zola, a dégagé de l’Argent tout le pathétique terrible qu’il contient à notre époque. » Mais cela n’est pas absolu au point qu’Émile Zola lui-même et maintenant Georges Lecomte n’aient su plus récemment découvrir des raisons nouvelles à ce motif d’écrire aussi vieux que le monde.

Le don de causticité dont l’auteur fit preuve avec une verve vraiment fougueuse au cours de son récit politique des Valets se fait voir, dans le Veau d’or, plus extrême et plus vif encore. Les peintures de traitants sont toutes saisisantes ; et, soit que nous assistions aux trafics frauduleux du brocanteur Malfroy, aux exploits douceâtres et manifestement louches du critique Malhurin Poisse et de M. Jean Rafle, aux plagiats de M. Lime, nous nous initions aux secrets peu dévoilés jusqu’ici d’un banditisme d’autant plus à craindre qu’il ne s’attaque pas à la seule bourse des gens, mais à l’art lui-même dans son passé de chefs-d’œuvre : la falsification, la vente et la dispersion des faux tableaux, des faux marbres et des faux meubles dont d’audacieux Rafle, assurés d’un complice silence, emplissent jusqu’à nos musées et nos collections. Traité dans ce sens vrai­ ment particulier, le roman de l’or présente ici de nouveaux élé­ments d’étude ; et c’est la récompense à son beau labeur que M. Georges Lecomte a trouvée en réussissant dans cette œuvre ardue.

Avec les Cartons verts, M. Georges Lecomte, habitué jusque-là à peindre (ainsi que dans le Veau d’or ou dans les Valets) des individus d’une activité presque frénétique, de fébriles coquins ou d’adroits bandits, a dû mettre une sourdine à son art. Le monde des employés est un monde où le clair et l’obs­cur, et l’obscur encore plus que le clair, dominent avec un ménagement plus que parcimonieux. Une sorte de nuit heu­-