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y a une Espagne plus proche, plus colorée et plus féconde, une Espagne actuelle où, malgré le modernisme, on retrouve dans les gestes, dans les danses, dans les pas saccadés des hommes autant que dans le lascif ondoiement des femmes, une terre de grande allure, une chaleureuse et puissante patrie.

Enfin, il y a l’art espagnol : Murillo, Velazquez, le Greco, Ribeira et Zurbaran ; il y a Goya. Ici, le voyageur atteint à l’émotion élevée qui émane des spectacles d’une originalité hautaine et magnifique. Goya, surtout, séduit Georges Lecomte ; et, des cadres du vieux maître exposés au musée du Prado, de ceux de l’Académie San Fernando se dégage, à ses yeux, la grande leçon de Manet. Dans l’opulente Maja, d’une nudité si chaude et si captivante, il devine Olympia ; il a le sentiment que les « mêmes synthèses de lumières et d’ombres » auxquel­ les aboutit l’art du premier des maîtres de l’impressionnisme puisèrent leur inspiration dans ces œuvres audacieuses. Enfin, à ses yeux, « l’art de M. Degas est tributaire de celui de Goya. Il est indéniable aussi que l’art exquis de Whistler a les mêmes origines ».

Un livre comme l’Art impressionniste, bien qu’antérieur au volume sur l’Espagne, est un corollaire obligé de ce voyage aux musées espagnols. « La première esthétique de Manet a des analogies avec celle qu’instaura Velazquez », écrit Georges Lecomte. Mais, devant les Danseurs, devant la Femme à la guitare, le même auteur comprend l’évolution que Manet a sui­vie ; il retrouve en lui la trace de la touche mâle de Goya. Puis il admire dans Manet l’effort que ce dernier a tenté pour s’éva­der de l’emprise de l’art espagnol ; il conçoit la puissante originalité qui se dégage du Déjeuner sur l’herbe et ratifie le juge­ ment si lucide de Zola : « Les toiles de Manet ont un accent trop individuel pour qu’on veuille ne trouver en lui qu’un bâtard de Velazquez et de Goya. »

Historien fidèle et convaincu de ce mouvement pictural admirable auquel pleine justice est rendue désormais, il écrit avec une conviction que partagent tous ceux qui possèdent l’amour du classique et le sentiment du vrai : « Les recher­ches des impressionnistes seront la justification de notre épo­que dans l’histoire générale de l’art à travers les siècles. »

À travers les toiles de Manet, les pastels allègres de M. Degas, d’un art si nerveux, d’un dessin si sobre et si pur, les coins