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pect devant l’effort. Par cela même, en raison d’un labeur qui commande, aucun nom n’est plus près de nous que celui de cet écrivain qui n’a été mêlé à aucune école et de qui le rude labeur aboutit en peu de temps à élever une œuvre.


II

En un discours qu’il a prononcé récemment, à l’inaugura­tion du monument d’Henry Becque, M. Georges Lecomte a rendu hommage à ce grand contempteur de toutes les moder­nes hypocrisies sociales et littéraires. Le premier en France, « Becque a libéré le théâtre de toutes les timidités et de toutes les conventions. Il a montré que, comme par le roman, on y peut étudier les plus secrètes subtilités du cœur, les conflits les plus aigus de passions et d’intérêts, et toute l’âpre souf­france des hommes aux prises avec les rudesses de la vie ». Aucune expression n’est plus juste en ce qui touche aux Cor­beaux, à la Parisienne et à tous ces beaux drames où Becque, rompant avec les convenances et les préjugés, a communiqué au théâtre un emportement et une véhémence inconnus de Dumas, d’Augier et de leurs disciples. Becque, le premier sur la scène moderne, a donné aux nouveaux venus du drame et de la comédie « de grandes et fécondes leçons de vérité ».

M. Georges Lecomte, ainsi que la plupart des principaux dramaturges d’alors, bénéficia, dès ses débuts, de ces leçons si hautes et si exceptionnelles ; et la Meule, la première œu­vre où il se révéla avec ses qualités de satire aiguë, de ten­dresse aimante et de pitié discrète, témoigne d’une singulière attention dans l’étude des caractères et des sentiments, dans l’examen des pauvres consciences contemporaines tourmentées de vains calculs et d’ambitions basses. Les Rousselot, les héros de la Meule, sont, le père surtout, de braves gens, un peu pro­vinciaux, de mentalité moyenne. Jeanne, leur fille, montre toute l’ingénue candeur des vingt ans ; son désir serait de goûter, d’aimer la vie dans tout ce qu’elle offre de beau, de bon, de noble et de généreux. Mais la Meule sociale, impi­toyable à ce charmant éveil d’une jeune fille, entreprend de broyer ses rêves. Celui qu’elle aime, lui-même, la pousse aux pires vilenies ; et c’est vaincue, brisée et meurtrie à jamais dans son frais espoir de jeunesse, qu’elle accepte finalement,