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REVUE DE LA QUINZAINE Janeiro, où il était né le 21 juin 183g, et qu’il n’avait jamais quitté, l ’un des plus parfaits écrivains de langue portugaise, Machado de Assis, président de TAcadémie brésilienne des Lettres. D’origine modeste et de sang mêlé, il fut d’abord typographe, puis il entra dans l’administration et devint chef de bureau au ministère des Tra­ vaux publics. La carrière littéraire le séduisit de bonne heure et ses débuts subirent l’influence du Romantisme, alors représenté là-bas par la vaillante pléiade des José de Âlencar, Manoel de Macedo, Castro Alves, Casimiro de Abreu, etc. (Son premier livre, les Chrysalides (vers), vit le jour en octobre 1864.) ïl.s e dégagea bientôt, et par un miracle d’indépendance artistique, sut manifester la sincérité subtile et, ironiquement expressive d’une personna­ lité sans mélange* Par la grâce d’une pensée originale et cultivée, d’une sensibilité vibrante, il se révéla élégant et sobre de style, en un milieu épris de facile boursouflure. Nul ne s’est rendu mieux maître de sa langue : nul ne l’écrivit avec plus de correction vraiment classique, de passion et de simplicité. C’ est que la richesse du vocabulaire, qui est affaire de pure mémoire, n’était pas chez lui la qualité prépoudérante : il possédait en ou­ tre la faculté autrement précieuse de réaliser ridentification du verbe avec ses sources psychologiques. C’est là un don de génie, qui confère au style toute sa force, alliée à la souplesse et à l’expression des nuances. Son art est amer, mais souriant ; car l’homme était bon, discret et spi­ rituel. Peut-être cet humoriste a-t -il manqué quelque peu de santé .physi­ que et de cette joie positive qui seule eût orienté vers la vie son scepticisme. Sa poésie et ses romans en souffrent, mais tels de ses contes : VEglise du Diable, Messe de Minait, et bien d’autres, restent des modèles de grâce ingénieuse et saisissante. Son ch ef-d ’œuvre, Mémoires de Bras Cubas, le rapproche de Lucien et d’Anatole France. Au xvne siècle, on l’eùt classé moraliste. Ce fut souvent un Swift, moins la colère, un Swift plein de fi­ nesse doucement désabusé. Il laisse en vers des sonnets dignes deCamoens et une traduction du Corbeau d’Edgard Poe, d’une fidélité rare. Mais il fut surtout prosateur de race, conteur et romancier, parfois critique, et il avait toute l’admiration dJEça de Oueiroz. Une fois, avec Toi, rien que toi, pur Amour, il aborda le Théâtre. L ’homme fut charmant, un peu timide, presque ingénu, d ’une inaltérable courtoisie et surtout sans pose. N ’ayant souci que de son art, il se tint à l’écart des vives querelles, que sa dignité souriante eût dédaignées. 11 vécut paisible­ ment pour les lettres, entouré de l’affection respectueuse des gens d’esprit, près d’une épouse dévouée, parmi de belles amitiés féminines. Cœur exquis, esprit délicat, il reste un exemple. I La taille deSchiller. — C’était, à vingt-cinq ans, le plus grand homme de W eim ar (tandis que Goethe, comme Ton sait, n’était physiquement qu’une « grandeur » assise et endêvait de la disproportion de ses jambes à son torse) ; mais il n’atteignait pas — les récits contemporains en eussent parlé avec plus d’étonnement encore — les 192 centimètres de Charlemagne que vient de lui attribuer un récent critique. On n’a de mesure exacte de