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350 MERCURE DE FRANCE — 16-XI-1908

têtes le distinguent déjà singulièrement. Son portrait de M. Jeaurat est d’une vérité de figure et de costume frappante; mais celui d’un peintre dans la manière libre de Greuze a arraché le suffrage de ce dernier, au point de lui donner de l’humeur et de ne pas contribuer pour peu à l’empêcher de rien mettre de ses ouvrages au Sallon.

Je placerais volontiers vers cette époque l’effigie ferme et distinguée de François-René Molé. Celui-ci, qui était lui-même fils d’un peintre-sculpteur, devait avoir quelque goût naturel pour l’art. En 1771, l’ac­teur avait près de 37 ans ; il venait de se marier, et conservait encore cette jeunesse d’allure et de physionomie qui rend son portrait si frappant. N’est-il pas même permis de se demander si cette œuvre charmante ne figurait pas parmi les toiles exposées sous le même numéro, sans indication plus détaillée ? Etienne Aubry reparaît au salon de 1773 avec les portraits de Mme Victoire, de feu M. le duc de la Vauguyon, gouverneur des enfants de France, du maréchal de Broglie, du comte de Noailles, du sculpteur Vassé ; les portraits d’Adam le jeune et d’Hallé le font recevoir membre de l’Académie en 1775. Mais à partir de cette époque précisément, les portraits se font plus rares dans son œuvre, et l’anecdote l’emporte. Le comte d’Angiviller possède l'Amour paternel ; Aubry peint une Femme qui tire des cartes, un Enfant demandant pardon à sa mère, des visites à la nourrice, et il lui faut un long commentaire pour expliquer au livret le sujet du Mariage rompu. A Rome, où il peint Un Fils repentant de retour à la maison paternelle, il prend une ruine antique comme décor, et il a soin de copier les costumes locaux. Le Coriolan sera sa dernière œuvre. C’est moins pour ses peintures anecdotiques que pour ses portraits qu’Etienne Aubry retient maintenant notre attention. Si même dans le genre larmoyant où versait l’artiste, son métier conserve assez de tenue, l’intention littéraire et quasi moralisatrice nous gêne un peu. Mais les visages témoignent d’une grande sûreté d’observation, d’un sens aigu du caractère, d’un savoir remarquable de dessinateur ; le coloriste est sensible aux nuances et sait voir parfaitement les variations du ton selon la diversité de l’éclairement. Les portraits d’Adam le jeune , d’Hallé, de Vassé, de Molé suffisent à montrer le mérite d’Aubry, et seule sans doute la brièveté de sa carrière et la rareté fatale de ses œuvres ont empêché son nom de devenir plus glorieux; mais ses figures peuvent être placées à côté de celles des Tocqué, des Aved, voire de Greuze, et ce n’est déjà pas un si mince éloge.

Mémento. — Dans la Revue de l'Art ancien et moderne, M. de L. de Fourcaud termine la série de ses remarquables articles sur le Pastel et les Pastellistes français au XVIIIe siècle ; M. Prosper Dorbec étudie la Tradition classique dans le paysage au milieu du XIXe siècle, et M. Jean