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REVUE DE LA QUINZAINE encore, que la mise en page dans la toile fut identique, nouvelle coïn­ cidence tout à fait inadmissible. Il faudrait admettre par surcroîtque les deux artistes ont dessiné exactement de la même façon les pro­ fils, les yeux, l ’oreille et quiconque atouché un pinceau sait combien diffèrent deux interprétations du même sujet. Et ce n’est pas tout : il serait nécessaire que la cravate du personnage elle-même se soit replacée avec les mêmes plis, pour que son m otif décoratif ait gardé le même dessin. L a chronique du xvm e siècle s ’ occupait trop de Molé pour que pareil fait pût passer inaperçu. On me permettra de ne pas insister. Et comme Molé vivait encore lorsque le portrait fut gravé, Saint-Aubin ne pouvait avoir sur l’au­ teur d elà peinture le moindre doute. Si d’ailleurs l ’acteur avait pos­ sédé un portrait d’ un peintre plus célèbre qu’À ubry, il n’eût pas manqué de le choisir pour le confier à Saint-Aubin. L a peinture de la collection Dormeuil, quel qu’en soitle mérite, dénote d’ailleurs une observation patiente, une timidité de la touche, une certaine m a i­ greur, un peu de sécheresse, qui indiquent un artiste encore à ses débuts, comme l’était Aubry vers 1770; ses portraits connus confir­ meraient au besoin cette attribution. On ne saurait du reste songer à aucun des grands maîtres du xviii® siècle, pas même le moins du monde à Greuze, dont Aubry cherchait à se rapprocher, mais qui possède une facture sensiblement plus grasse et plus libre. Le portrait de Molé est la seule gravure connue de Saint-Aubin d’après Aubry. Mais celui-ci a été reproduit par de Longueuil, J.- G . Levasseur et les Delaunay. Nicolas Delaunay grave Abus de la cré­ dulité et la Première leçon d’amitiéfraternelle ; Robert Delaunay le Mariage rompu et la Reconnaissance de Fonrose; J.- G . Levas­ seur, l’Amour paternel et les Amants curieux, qu’il dédie au comte d’Angiviller. Celui-ci du reste entraînait Etienne A ubry à la suite de Greuze ; et bien qu’il appréciât assez le portraitiste pour s’être fait peindre par lui à deux reprises, il préférait certes le genre sentimental ou héroïque. S u r ses conseils, le peintre versaillais fit le voyage de Rome et il prit malheureusement assez au sérieux les Ita­ liens de la décadence pour les imiter dans u n .Coriolan faisant ses adieux à sa fem m e. Cette toile ne fut exposée qu’en 1781, après la mort de l’artiste. Il disparaissait à trente-six ans, étant né à Ver­ sailles le 10 janvier 1745 ; dès sa jeunesse il avait fait d’assez nom­ breuses copies de portraits et il acquit lui-même rapidement quelque réputation comme portraitiste. Il expose donc d’abord des portraits en 1771 quand il débute au salon et son Jeauratlui vaut de suite les éloges de Bachaumont : Le dernier en rang des peintres à portrait, mais qui s’annonce par les plus grands lalens et qui laissera bientôt derrière lui ses confrères, c ’est M. Aubry. Une vigueur mâle, de la hardiesse, du caractère dans toutes ses