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344 MERCVRE DE FRANCE— i6-xi-igo8 faite et digne des plus sincères compliments, l ’autre côté de la rampe procura maintes déceptions. D ’abord, on n’éprouva pas un instant que les décors du Crépuscule dussent ruin er notre Opéra, sans davantage soupçonner qu’ils lui aient coûté plus d ’imagination que d’argent. S a u f peut-être le coin de forêt rocheuse et ensoleillée où Siegfried vient mourir, ils s’attestent assez économiquement., voire gauchement quelconques, pour qu’on déplore amèrement qu ’une in­ disposition malencontreuse ait empêché, dit-on, M. Pierre Lagarde de surveiller leur élaboration. Tels quels, cependant, ces décors pour­ raient à la rigueur fournir un acceptable cadre à la légende wagné- rienne, à condition d’j être aidés par des jeu x d’éclairage et la poly­ chromie appropriée des lumières. Est-il vrai que notre Opéra soit, à ce point de vue, aussi bien outillé, sinon mieux, que la salle F avart? Dans ce cas, son ch ef électricien devrait aller passer de temps en temps sa soirée à l ’Opéra-Comique. II y apprendrait bien des choses, entre autres l ’art des dégradations insensibles, le mystère radieux ou sinistre des ombres mauves, bleues, irisées, glauques ou livides. A I’Opéra, tout se déroule imperturbablement sous un jo u r cru ou bien dans l ’opacité terne d’un g ris plus ou moins foncé. Les scènes les plus saisissantes du Crépuscule ont pâti regrettablement de ce défaut d’une ambiance adéquate, en son mélange de réel et de fantastique, où mythe ou héros, gnômes, ondines, hommes, demi-dieux et dieux enchevêtrent leurs destinées et leurs progénitures. L ’ œuvre, pourtant, subit de plus sérieux dommages de la part d’une mise en scène dont quelque inexpérience, excusable aux débuts de jan vier, paraît en train de s’a gg raver ju s q u ’à laisser craindre Je retour des toulousainiaiseries d’antan.N ’est-il pas singulier que, m algré la meilleure bonne volonté manifeste, notre Opéra semble impuissant à se désengluer de ses pires traditions? Est-ce routine ou insouciance qui nous fit contem­ pler tout d’abord, au centre exact du décor, les trois Nornes plantées debout en triangle équilatéral de plusieurs mètres de côté et chacune à son tour attrapant au vol, adroitement lancé, un peloton de corde ou de ficelle dont le « flic,floc » cinglait les planches, pour, après ce scabreux exercice, se rassembler sur une trappe étroite et non moins centrale et disparaître graduellement dans les dessous grâce au can­ dide et antédiluvien machinisme? L ’ exorde était fâcheux et, si ce qui suivit ne le racheta guère, la péroraison dépassa toutes appréhensions. Je n’insisterai pas sur le bateau qui vogue sur le Rhin et aborde tout seul, sans aviron ni voile, portant Siegfried casqué, lance et bouclier dans sa dextre, et tenant du poing gauche son cheval par la bride ; sur l’étrange fantaisie q u’eut Brunnbilde, livrée par Siegfried à Gnnther et retrouvant, avec au doigt l’anneau dérobé, son amant époux de Gutrune, de choisir la cloison d’une « loge sur la scène » pour y exhaler sa douleur; ni sur un tas des menus ou non détails