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KliVUE LUS LA QUINZAIlNE 343 lution pour un artiste. Il semble que W agner ait été quelque peu p ri­ sonnier delà grandeur de son rêve. Déjà peut-être, quand il compo­ sait la W alkyrie, un art tout différent hantait son impatient génie en genèse d’un monde sonore inconnu. Peu à peu le musicien s’ir­ rite ou souffre du délai matériellement nécessaire à la réalisation homogène et ininterrompue de la tâche immense imposée par le dra maturge. Il tente en vain de résister. Au beau milieu de Siegfried, il s’arrête et se libère avec Tristan. Ce n ’est qu’après les Maîtres Chanteurs qu’ il aura le courage de reprendre l ’ouvrage abandonné. Aussi, dans son ensemble, VAnneau; du Nibelung apparaît-il une œuvre, sinon inégale, du moins dépareillée. C ’est un tout autre m usicien que celui qui la commença, celui qui la finit avec ce formi­ dable Crépuscule. C’est un autre homme aussi, et, en songeant que cet homme était sexagénaire quand il en écrivit la dernière mesure, on est certes moins étonné d’y devoir constater quelque latent effort que stupéfait de la splendeur du résultat. On se convainc bientôt que cet effort visible dénoncerait malaisément la fatigue de l’âge,m ais trahit bien plutôt un acharnement volontaire à poursuivre un dessein insciemment périmé. Jamais W ag n er ne déploya peut-être ailleurs verve plus étincelante et plus souple, inépuisable à enrichir, renou­ veler, refondre et triturer l ’innombrable substance thématique én exploitant, avec une telle infaillible et désinvolte sécurité, toute la gam m e des ressources expressives ou pittoresques, des nuances les plus délicates de la grâce au x envols d’ une force écrasante. Et, en présence de cette extraordinaire jeunesse de son génie, on peut se demander ce qui fût advenu si Wagner, au lieu de le mettre aux prises avec des inspirations anciennes quelquefois de vingt ans, avait exigé du nouveau de sa fécondité exubérante. Peut-être la Tétralogie nous a-t -elle privés d’un chef-d ’œuvre intermédiaire entre Tristan et Parsifal, ou succédant à un Parsifal moins tardif. Elle nous a valu ce Crépuscule hétérogène et magnifique, que depuis si longtem ps iious souhaitions de connaître chez nous au th éâtr e . Ce n ’est évidemment pas la faute des actuels directeurs de notre Opéra National, si cet événement subventionné n’arriva qu’en l’octo­ bre de ce 1908. On ne saurait assez hautement les louer au contraire pour une activité artistique dont on avait perdu, non seulement l’ha­ bitude, mais jusqu’au souvenir en l’endroit, et on sent que, nous offrant enfin le Crépuscule, ils y ont apporté des soins exceptionnels. M. Messager, qui présida assidûment au travail des répétitions, eut la coquetterie de nous présenter l ’œuvre au pupître du ch ef d’orches­ tre. Et, de fait, sous son geste et son bâton, cet orchestre apparut quasiment méconnaissable, et réussit le plus souvent, par d ’inaccou­ tumés contrastes ou l ’ampleurdes sonorités, à vaincre la piètre acous­ tique du local. Toutefois, si l’exécution fut ici à bien peu près par­