Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/153

Cette page n’a pas encore été corrigée

REVUE DE LA QUINZAINE 339 Voilà comment l’institut s’amuse les jours de fête. On ne l’accusera pas de rechercher les plaisirs déshonnêtes et la littérature pimentée. Willette, cependant, couvre de fresques les murs de l ’Hôtel de Ville. M. Paul.Bourget a donné àTEcho de P aris un excellent arti­ cle sur Barbey d’Aurevilly. Il appuie un peu trop sur le côté ccémi­ gré » de Barbey et de sa famille, et beaucoup trop sur son aristo­ cratisme, qui n’était que du romantisme attardé, mais son portrait du vieil écrivain n’en est pas moins curieux et vivant. Jamais per­ sonne ne fut plus hautainement vieille garde, — celle de Waterloo : Il tombe aujourd’hui, ce centenaire. Nous tous qui avons dans notre sou­ venir le d’Aurevilly d’il y a vingt-cinq ans, si brillant, si vivant, si jeune d’esprit, si robustement alerte de gestes, de tournure, de démarche, nous avons peine à croire que le causeur d’alors fût un vieillard. Ce pauvre fou de Nicolardot, le parasite famélique et envieux du grand écrivain, avait donc raison quand il imprimait lui-même sur des carrés de papier — il venait ensuite les glisser sous nos portes ! — ces mots cruels : « novembre 1808*Naissance du jeune Jules-Amédée Barbey. » L’auteur des Diaboli­ ques aurait profondément ressenti cette vilenie, s ’il l’avait sue. Il a expli­ qué, dans une page du Rideau cramoisi, — une confession pour qui l’a connu, — son attitude devant la vieillesse. « Cet affreux mot qu’il faut savoir dire », écrivait-il pourtant, — mais en 1888 ! — et, jusqu’aux toiit derniers mois, il pratiqua la théorie qu’il formulait à propos du personnage du Rideçiu : « On a dans le monde, et même dans les livres, l ’habitude de se moquer des prétentions à la jeunesse de ceux qui ont dépassé cet âge heureux de l’inexpérience et de la sottise, et on a raison quand la forme de ces prétentions est ridicule. Mais quand elle ne l’est pas, quand, au con­ traire, elle est imposante comme la fierté qui ne veut pas déchoir et qui l’inspire, je ne dis pas que cela n’est point insensé, puisque cela est inutile, mais c’est beau comme tant de choses insensées I**. » Je l ’ai entendu émettre, non pas une fois, mais vingt, cet axione qu’il justifiait rien qu’ en le prononçant de sa voix profonde : « Il n’y a pas d’âge, il n’y a que des forces, » Et c’est bien vrai que le cc Preux de Valognes » bous semblait indestructible, à nous, ses cadets d’un demi-siècle, quand nous le regardions qui corrigeait ses épreuves, dans un bureau de rédaction, ses gants blancs à broderies de couleur posés auprès de lui, entre sa canne-cravache et son chapeau de soie à coiffe rose et à bords doublés de velours. Nous ne pen­ sions à sourire, ni des artifices par lesquels il maintenait le noir arrogant de sa moustache et de ses cheveux, ni de sa redingote serrée à la taille, ni des sous-pieds de son pantalon à large bande, ni de sa cravate garnie de dentel­ les, ni de ses manchettes retroussées, ni de la petite glace qu’il avait tou­ jours à la main. Cet attirail de dandy révélait non pas une vanité de vieux beau, mais une volonté de ne pas déchoir. Un peu, il l’a dit lui-même encore, « du sentiment de la garde qui meurt et ne se rend pas, à Water­ loo ». Barbey d’Aurevilly, par le nombre infini d’anecdotes cristallisées autour de lui, va devenir un des écrivains du dix-neuvième siècle