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et cette dissonnance-là ! je n’ai jamais pu la ressentir autrement : une volonté chargée d’angoisse…

— « Il chanta ! La femme étonnée roula vers lui des yeux interrogeants ; puis les baissa, puis les releva tout pleins de lueurs qu’Orphée reconnut impudiques. Elle fléchit les genoux et s’assit parmi des croupes de terre noire qui enlisaient ses orteils, ses chevilles, et montaient au long des jambes. Son bras tendu pesait sur la fange, et son poignet, à la chair bleuâtre, peu à peu s’enfonçait. Le chantre inécouté, debout auprès d’elle, répandait ses hymnes de caresses, et s’efforçait et s’épuisait, par le rythme de son Verbe, par les sursauts des cordes éveillées, par tout le frémissement de sa lyre nuptiale, à mener son amante jusqu’à l’émoi conjugué de leur double entendement. — Elle, attendait. Orphée prodigua d’autres baisers plus inouïs. Elle, attendait ; et s’impatienta. Sa main qui pétrissait la boue fouilla les plis du voile, et, parmi l’obscénité du ventre, atteignit la boucle d’airain où se nouait sa ceinture, afin de la délacer. Impuissant, Orphée se tut. Ce fut dans les Enfers un silence inexprimable.

« Il contemplait avec un dégoût désappointé cette femme pareille jadis à la cithare Apollinienne dont les cinq passions répondaient aux cinq modes sonores d’aimer. Elle lui apparut métamorphosée par maléfice : rien d’autre que la femelle assoiffée d’étreintes primitives, — où l’on se choque, où l’on se mord, où l’on se pénètre… Il recula pour échapper à la souillure, et méprisa le rite immonde. D’un coup de voix, il déchira la trame de sa lyre : la corne ployée le frappa dans la poitrine, et les fils, en cassant, mordirent ses poignets et ses ongles. Eurydice, souriant, ouvrait sa tunique. Orphée s’enfuit ; et il ne se retourna point. »

Les flammes chantaient toujours. Je ne sais pas quel temps put s’écouler. Mais qui se fût inquiété du temps ! et pourquoi pas exiger de moi la date ?… Seulement, il me souvient d’avoir dit, à un moment indéterminé, et presque d’instinct :

— Orphée, c’est… toi ?

Je fus étonné :

— Non, répondit André, Orphée, ce n’est pas moi. Orphée ne fut pas un homme, ni un être vivant ou mort. Je conçois combien la paraphrase que je viens de t’offrir détone parmi