Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pagné des pasteurs, la tête nuë, invoquoit en silence le Dieu des miséricordes, et édifioit le peuple répandu en foule sur toute la place[1].

Le criminel parut. Il marchoit revêtu

  1. Notre Justice n’épouvante point, elle dégoûte : s’il est au monde un spectacle odieux, révoltant, c’est de voir un homme ôter son chapeau bordé, déposer son épée sur l’échafaud, monter à l’échelle en habit de soye ou en habit galonné, & danser indécemment sur le malheureux qu’il étrangle. Pourquoi ne pas donner à ce bourreau l’aspect formidable qu’il doit avoir ? Que signifie cette atrocité froide ? Les loix perdent leur dignité, & le supplice sa terreur. Le juge est encore mieux poudré que le bourreau. Faut-il accuser ici l’impression que j’ai ressentie ? J’ai frémi, non du forfait du criminel, mais du sang froid horrible de tous ceux qui l’environnoient. Il n’y a eu que l’homme généreux qui réconcilioit l’infortuné avec l’Être Suprême, qui lui aidoit à boire le calice de mort, qui m’ait semblé conserver quelque chose d’humain. Ne voulons-nous que tuer des hommes ? Ignorons-nous l’art d’effrayer l’imagination, sans outrager l’humanité ? Aprenez, enfin, hommes légers & cruels, apprenez à être juges : sachez prévenir le crime : conciliez ce qu’on doit aux loix & à l’homme. Je n’aurai point la force de parler ici de ces tortures recherchées, qu’on a fait subir à quelques criminels réservés, pour ainsi dire, à un supplice privilégié. Ô honte de ma patrie ! les yeux de ce sexe qui sembloit fait pour la pitié, furent ceux qui resterent le plus longtems attachés sur cette scene d’horreur. Tirons le rideau. Que dirois-je à ceux qui ne m’entendent pas ?