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QUATRE CENT QUARANTE.

te : le tems de ces iniquités est écoulé ; l’asyle des malheureux est respecté, comme le temple, où les regards de la Divinité s’arrêtent avec le plus de complaisance : les abus énormes sont corrigés, & les pauvres malades n’ont plus à combattre que les maux que leur imposa la nature. Quand on n’a à souffrir que d’elle, on souffre en silence[1].

Des médecins savans et charitables ne dictent point de sentences de mort, en prononçant au hazard des préceptes généraux : ils se

  1. Un jour je me suis promené seul & à pas lents dans les salles de l’Hôtel-Dieu de Paris. Quel lieu plus propre à méditer sur l’homme. J’ai vu l’avarice inhumaine décorée du nom de charité publique. J’ai vu des moribonds plus pressés qu’ils ne devaient l’être dans le tombeau, confondre leur halaine, & précipiter le trépas des tristes compagnons de leur misere. J’ai vu la douleur & les larmes n’attendrir personne ; le glaive de la mort frapper à droite & à gauche sans élever aucun gémissement : on eût dit qu’il abattoit des vils animaux dans un séjour de carnage. J’ai vu des hommes endurcis à ce spectacle, s’étonner que l’on pût y être sensible. Deux jours après je me suis trouvé à la salle de l’opéra. Quel spectacle dispendieux ! Décorations, acteurs, musiciens, on n’avoit rien épargné pour rendre le coup d’œil magnifique. Mais que dira la postérité, lorsqu’elle saura que la même ville enfermoit deux endroits aussi différens ? Hélas ! comment peuvent-ils reposer sur le même sol ! L’un n’exclud-t-il pas nécessairement l’autre ? Depuis ce jour l’Académie Royale de Musique contriste mon ame ; au premier coup d’archet j’ai sous les yeux le lit dégoûtant des pauvres malades.