Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/420

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais aussi les faits sont innombrables. Que de bruits populaires ! de fables surannées ! de détails sans fin ! Les affaires de chaque siecle sont les plus intéressantes de toutes pour les contemporains, & dans tous les siécles ce sont les seules qu’ils n’ont pu approfondir.

On a écrit laborieusement des faits antiques, étrangers, tandis que l’on détournoit son attention des faits présens. L’esprit de conjecture brille aux dépens de l’exactitude. Les hommes ont si peu connu leur foiblesse, que plusieurs ont osé entreprendre des histoires universelles ; plus insensés que ces bons Indiens qui donnoient du moins quatre éléphans pour base au monde physique. Enfin l’histoire a été si défigurée, si hérissée de mensonges, de réflexions puériles, que le roman devant tout esprit sensé a paru trouver grace en comparaison de ces histoires, où, comme sur une mer sans rives, on naviguoit sans boussole[1]

  1. En réfléchissant sur la nature de l’esprit humain, on peut reconnoitre l’impossibilité d’une histoire ancienne véritable. La moderne choque moins le vraisemblable ; mais du vraisemblable à la vérité il y a toujours presque aussi loin que de la vérité au mensonge. Aussi n’apprenons-nous rien dans les histoires modernes. Chaque historien accommode les faits à ses idées, à peu près comme un cuisinier apprête des