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Les légumes, les fruits étoient tous de la saison, & l’on avoit perdu le secret de faire croître dans le cœur de l’hiver des cerises détestables. On n’étoit pas jaloux des primeurs, on laissoit faire la nature : le palais en étoit plus flatté & l’estomac s’en trouvoit mieux. On servit au dessert des fruits excellens ; & l’on but d’un vin vieux : mais point de ces liqueurs colorées, distillées à l’esprit de vin & si à la mode dans mon siécle. Elles étoient aussi sévèrement défendues que l’arsenic. On avoit découvert qu’il n’y avoit point de sensualité à se procurer une mort lente & cruelle.

Le maître de la maison me dit en souriant : « avouez que voilà un dessert bien mesquin. Vous ne voyez ni arbres, ni châteaux, ni moulins à vent, ni figures en sucre[1]. Cette extravagance prodigue, qui ne produisoit même aucune sorte de volupté, étoit jadis celle de grands enfans tombés en démence. Vos magistrats qui devoient don-

  1. Ô France ! ô ma patrie ! veux-tu connoître quelle est aujourd’hui ta véritable gloire, l’avantage réel que tu as sur les autres nations ? Écoute : tu excelles dans ton industrie pour les modes ; elles sont adoptées aux extrémités du Nord, dans toutes les cours d’Allemagne, dans l’intérieur même du sérail, enfin dans les quatre parties du monde ; tes cuisiniers, tes confiseurs sont les premiers de l’Univers ; & tes danseurs donnent le ton à toute l’Europe.