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Tous les mets dont je goûtois n’avoient presque point d’assaisonnement, & je n’en fus pas fâché ; je leur reconnus une saveur, un sel qui étoit celui que leur donna la nature, & qui me parut délicieux. Je ne trouvai point de ces alimens rafinés qui ont passé par les mains de plusieurs teinturiers ; de ces ragoûts, de ces jus, de ces coulis, de ces sucs échauffans qui, raréfiés dans de petits plats fort coûteux, hâtoient la destruction de l’espèce animale, en même tems qu’ils brûloient les entrailles humaines. Ce peuple n’étoit pas un peuple carnassier qui se ruinoit pour la table & dévoroit plus que la magnificence de la nature ne pouvoit produire avec toutes ses facultés génératives. Si tout luxe étoit odieux, celui de la table paroissoit un crime révoltant : car si un riche abusant de son opulence[1] gaspille les biens nourriciers de la terre, il faut nécessairement que le pauvre les achète chérement, & de plus se retranche un repas.

    les différentes inflexions de la voix, s’émeut au son de la musique, est profondément touché des moindres nuances de la poësie, de l’éloquence, de la peinture, suit les calculs de l’algèbre & s’enfonce délicieusement dans les profondeurs de la géométrie, &c ? Celui qui a dit que l’homme est un abrégé de l’univers a dit une grande & belle chose. L’homme paroit lié à tout ce qui existe.

  1. Le mal-honnête homme est à coup sûr celui qu’on qualifie d’honnête homme dans le grand monde.