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inventé pour occuper un monarque imbécille, & constamment cher à la troupe nombreuse des sots qui, avec son secours, cachent leur profonde insuffisance, avoit disparu de chez un peuple qui savoit trop embellir les instans de la vie pour tuer le tems d’une manière aussi triste, aussi fastidieuse. Je ne vis point de ces tables vertes qui sont un arêne où l’on s’égorge impitoyablement. L’avarice ne venoit pas fatiguer ces honnêtes citoyens jusques dans les momens consacrés au loisir. Ils ne se faisoient pas un tourment de ce qui ne doit être qu’un simple délassement[1]. S’ils jouoient, c’étoit aux dames, aux échecs, à ces jeux antiques & profonds qui offrent à la pensée une foule de combinaisons infinies & variées : ils avoient encore d’autres jeux qu’on pouvoit appeller des recréations mathématiques, avec lesquelles les enfans mêmes étoient familiarisés.

  1. Je redoute l’approche de l’hiver, non à cause de l’âpreté de la saison, mais parce qu’il ramène la triste fureur du jeu. Cette saison est la plus fatale aux mœurs, & la plus insupportable au philosophe. C’est alors que naissent ces bruyantes & insipides assemblées où toutes les passions futiles exercent leur ridicule empire. Le goût de la frivolité dicte les arrêts de la mode. Tous les hommes, métamorphosés en esclaves efféminés, sont subordonnés aux caprices des femmes, sans avoir pour elles ni passion ni estime.