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seau sur la branche ; & sans être diffus & pesant, il ne passoit pas sans aucune transition & sur le même ton des couches d’une princesse à l’histoire d’un noyé.

Les jeunes gens n’affectoient point des manières enfantines, un langage traînant ou étourdi, un air froidement supérieur. Ils ne se jettoient point sur des siéges, renversés, la tête haute & le regard insolent ou ironique[1]. Je n’entendis aucun propos licencieux ; on ne déclamoit pas tristement, longuement, pesamment, contre ces vérités consolantes qui sont l’appui & le charme des ames sensibles[2]. Les femmes n’avoient plus ce ton tour-à-tour impératif & langoureux. Décentes, réservées, modestes, occupées d’un travail léger & commode, l’oisiveté n’étoit pas en recommandation parmi elles : elles ne coupoient pas la journée par la moitié pour ne rien faire le soir. Je fus extrêmement satisfait d’elles, car elles ne m’ofrirent point un jeu de cartes : cet insipide amusement,

  1. Un joli homme en France doit être mince, fluet, & n’avoir pas douze onces de chair sur les os ; il doit avoir aussi une poitrine foible, une santé équivoque. Un homme, fort & bien nourri paroit hideux. Il n’appartient qu’aux Suisses & aux cochers d’avoir une haute stature & une radieuse santé.
  2. Le pyrrhonisme suppose quelquefois plus de préjugés qu’un penchant naturel à recevoir les apparences de la vérité.