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brillante & plus flatteuse. On ne quittoit point les travaux publics : au contraire, chaque citoyen se faisoit honneur de se présenter aux yeux de son roi dans le genre d’occupation qu’il avoit embrassé.

Un intendant, revêtu de toutes les marques de pouvoir, parcourt les provinces, reçoit les placets, porte directement au pied du trône les plaintes des sujets, examine par lui-même les abus. Il se transporte indistinctement dans chaque ville, & à chaque abus détruit on élève une pyramide qui cons-

    pect inspire une joie respectueuse. J’étois à une fenêtre, & je considérois toutes choses en faisant des réflexions particulieres. Quelques jours après je marchois dans les rues, & je fus fort étonné d’y rencontrer ce même prince, sans suite, à pied & déguisé. Je ne sais trop pourquoi, personne ne faisoit attention à lui ; au contraire, il se trouvoit heurté à chaque pas. Au même instant arrive un charlatan, assis sur une espèce de petit char attelé de plusieurs gros chiens & ayant un singe pour postillon. Les fenêtres de s’ouvrir, les cris de s’élever, tous les regards de se confondre sur le charlatan. Le prince lui-même entraîné par la foule devient un de ses admirateurs. Je le considérois alors, & il me semblait lui entendre dire : Fumée des acclamations de la multitude, n’obscurcissez jamais mon esprit d’un fol orgueil. Ce n’est point cet homme qui fait courir le peuple, c’est son étrange équipage. Ce n’étoit pas moi qui attirois les regards de la ville : c’étoient mes chevaux, le brillant de mes habits & la dorure de mes carrosses.