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ter un enfant de leur maison, comme on cherche à éloigner de chez soi un être vorace. L’homme fuyoit l’homme, parce que leur union ne pouvoit que redoubler leur misère ! De pauvres filles, fixées au sol où elles naissoient, languissoient comme ces fleurs qui, brûlées du soleil, pâlissent & tombent sur leurs tiges. Le plus grand nombre traînoit jusqu’au tombeau le désir d’être mariées : l’ennui & le chagrin filoient tous les instans de leur vie ; elles ne se dédommageoient de cette privation que par le risque de leur honneur & la perte de leur santé. Enfin le nombre des célibataires étoit monté à un point effrayant, & pour comble de malheurs la raison sembloit justifier cet attentat contre l’humanité[1]. Achevez du moins, pour me consoler, de me présenter le tableau at-

  1. Le goût du célibat commence à régner lorsque le gouvernement devient aussi mauvais qu’il est possible qu’il le soit. Le citoyen bientôt détaché du lien le plus doux, se détache insensiblement de l’amour de la vie. Le suicide devient fréquent. L’art de vivre est un art si pénible, que l’existence devient un fardeau. On auroit supporté tous les fléaux physiques rassemblés ; mais les maux politiques sont cent sois plus affreux, parce que rien ne les nécessite. L’homme maudit la société qui devoit alléger ses peines, & brise ses sers. On compte à Paris, en l’an 1769, cent quarante-sept personnes qui se sont donné volontairement la mort.