Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la douleur qui en résulte ; il en est plus disposé dans la suite à soulager ceux qui se trouveroient soumis à l’impérieuse & dure loi de l’extrême nécessité[1].

  1. En face de la cabane d’un philosophe, se trouvoit une haute & riche montagne favorisée des plus doux regards du soleil. Elle étoit couverte de beaux pâturages, d’épis dorés, de cedres & de plantes aromatiques. Les oiseaux les plus agréables a la vue, les plus délicieux au goût, en bandes pressées fendoient l’air de leurs aîles, & le remplissoient de leurs ramages harmonieux. Les daims, les chevreuils bondissans peuploient les bois. Quelques lacs nourrissoient dans leurs eaux argentées la truite, le merlan & le brochet. Trois cents familles répandues sur le dos de cette montagne la partageoient & y vivoient heureuses dans la paix & dans l’abondance, au sein des vertus qu’elles enfantent ; elles bénissoient le ciel au lever & au coucher du soleil. Mais voici que l’indolent, le voluptueux, le dissipateur Osman monta sur le trône, & ces trois cents familles furent bientôt ruinées, chassées, errantes & vagabondes. La belle montagne passa toute entiere entre les mains de son Visir, noble brigand, qui fit servir les dépouilles des malheureux & traiter magnifiquement ses chiens, ses concubines & ses flatteurs. Un jour Osman s’égara à la chasse ; il fit rencontre du philosophe dont la cabane écartée avoit échappé au torrent qui avoit tout englouti. Le philosophe le reconnut sans que le monarque s’en doutât. Le philosophe fit noblement son devoir. On parla du temps présent. Hélas ! dit le sage vieillard : on connoissoit encore la gaieté, il y a dix ans ; mais aujourd’hui les plus