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plus pour servir la cour, & pour orner la capitale[1]. Un ordre aveugle, émané du trône, ne vient point porter le trouble dans des lieux où l’œil du souverain n’a ja-

  1. L’erreur & l’ignorance sont la source de tous les maux qui accablent l’humanité. L’homme n’est méchant que parce qu’il se trompe sur ses véritables intérêts. Cependant on peut errer en physique spéculative, en astronomie, en mathématiques, sans un inconvénient bien réel : mais la politique ne souffre pas la moindre erreur. Il est des vices d’administration plus désolans que les fléaux physiques. Une faute en ce genre dépeuple & appauvrit un Royaume. Si la spéculation la plus sévere, la plus approfondie, est absolument nécessaire, c’est dans ces cas publics & problématiques où des raisons d’une force égale tiennent l’esprit comme en équilibre. Rien de plus dangereux alors que la routine ; elle produit des malheurs inconcevables, & l’état n’est éclairé qu’au moment de sa ruine. On ne sauroit donc trop multiplier les lumieres sur l’art compliqué du gouvernement, parce que le moindre écart est une ligne qui s’allonge en fuyant, & cause une erreur immense. Les loix n’ont été jusqu’ici que des palliatifs qu’on a érigés en remèdes généraux ; elles sont (comme on l’a fort bien dit) nées du besoin, & non de la philosophie : c’est à cette derniere à corriger ce qu’elles ont de défectueux. Mais quel courage, quel zèle, quel amour de l’humanité faudra-t-il à celui qui de ce cahos informe fera sortir un édifice régulier ? Mais aussi quel génie deviendra plus cher au genre humain. Qu’il songe que c’est l’objet le plus important, qu’il intéresse particuliérement le bonheur de l’homme, & que par une suite nécessaire il doit influer sur ses vertus !