Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un silence respectueux s’étendit sur cette nombreuse assemblée. Je prêtai une oreille attentive. Ses ministres lui lurent à haute voix tout ce qui s’étoit passé de remarquable depuis la dernière séance. Si la vérité eût été déguisée, le peuple étoit-là pour confondre le calomniateur. On n’oublioit point ses demandes. On rendoit compte de l’exécution des ordres ci-devant donnés, & cette lecture étoit toujours terminée par le prix journalier des vivres & des denrées. Le monarque écoutoit, & d’un signe de tête approuvoit ou remettoit les choses à un plus ample examen. Mais si du fond de la salle il s’élevoit une voix plaignante & condamnant quelques articles, fût-ce un homme de la dernière classe, on le faisoit avancer dans un petit cercle pratiqué au pied du trône. Là il expliquoit ses idées[1], & s’il se trouvoit avoir raison, alors il étoit écouté, applaudi, remercié ; le

  1. Un des plus grands malheurs qui soit en France, c’est que toute la police & l’administration des affaires sont entre les mains des magistrats, ou des gens revêtus d’une charge & d’un titre, sans qu’on daigne jamais consulter (du moins de la part du public) les personnes privées en qui la science & la sagesse se trouvent souvent dans un degré éminent. Le meilleur citoyen, le plus éclairé, ne peut développer ses talens utiles ou la grandeur de son ame ; s’il ne porte la robe d’un homme en charge, il doit immoler ses bons desseins, être témoin des plus grands abus, & se taire.